"Un numéro du programme me fut extrêmement pénible. Une jeune femme que détestaient Rachel et plusieurs de ses amies devait y faire dans des chansons anciennes un début sur lequel elle avait fondé toutes ses espérances d’avenir et celles des siens. Cette jeune femme avait une croupe trop proéminente, presque ridicule, et une voix jolie mais trop menue, encore affaiblie par l’émotion et qui contrastait avec cette puissante musculature. Rachel avait aposté dans la salle un certain nombre d’amis et d’amies dont le rôle était de décontenancer par leurs sarcasmes la débutante, qu’on savait timide, de lui faire perdre la tête de façon qu’elle fît un fiasco complet après lequel le directeur ne conclurait pas d’engagement. Dès les premières notes de la malheureuse, quelques spectateurs, recrutés pour cela, se mirent à se montrer son dos en riant, quelques femmes qui étaient du complot rirent tout haut, chaque note flûtée augmentait l’hilarité voulue qui tournait au scandale. La malheureuse, qui suait de douleur sous son fard, essaya un instant de lutter, puis jeta autour d’elle sur l’assistance des regards désolés, indignés, qui ne firent que redoubler les huées. L’instinct d’imitation, le désir de se montrer spirituelles et braves, mirent de la partie de jolies actrices qui n’avaient pas été prévenues, mais qui lançaient aux autres des œillades de complicité méchante, se tordaient de rire, avec de violents éclats, si bien qu’à la fin de la seconde chanson et bien que le programme en comportât encore cinq, le régisseur fit baisser le rideau. Je m’efforçai de ne pas plus penser à cet incident qu’à la souffrance de ma grand’mère quand mon grand-oncle, pour la taquiner, faisait prendre du cognac à mon grand-père, l’idée de la méchanceté ayant pour moi quelque chose de trop douloureux. Et pourtant, de même que la pitié pour le malheur n’est peut-être pas très exacte, car par l’imagination nous recréons toute une douleur sur laquelle le malheureux obligé de lutter contre elle ne songe pas à s’attendrir, de même la méchanceté n’a probablement pas dans l’âme du méchant cette pure et voluptueuse cruauté qui nous fait si mal à imaginer. La haine l’inspire, la colère lui donne une ardeur, une activité qui n’ont rien de très joyeux; il faudrait le sadisme pour en extraire du plaisir, le méchant croit que c’est un méchant qu’il fait souffrir. Rachel s’imaginait certainement que l’actrice qu’elle faisait souffrir était loin d’être intéressante, en tout cas qu’en la faisant huer, elle-même vengeait le bon goût en se moquant du grotesque et donnait une leçon à une mauvaise camarade. Néanmoins, je préférai ne pas parler de cet incident puisque je n’avais eu ni le courage ni la puissance de l’empêcher; il m’eût été trop pénible, en disant du bien de la victime, de faire ressembler aux satisfactions de la cruauté les sentiments qui animaient les bourreaux de cette débutante."
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
dimanche 6 juillet 2008
samedi 5 juillet 2008
L'histoire de l'amour, Nicole Krauss.

Le personnage principal du roman, c'est un livre.
L'histoire de ce livre est l'occasion de feuilleter un album de famille, de visiter une galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Que ce soit le vieillard trahi, l'écrivain raté, l'adolescente idéaliste, ou l'enfant qui se prend pour le messie, chacun porte sur le monde et les autres un regard lucide et réaliste, et la réunion de tous ces points de vue crée un fond d'humanité où l'on se retrouve soi-même.
Un autre fil relie entre elles toutes ces histoires particulières, celui de la tuerie des juifs en Europe. Les héros du roman sont des rescapés de la solution finale, ou leurs enfants, ou leurs petits-enfants, des êtres jetés au hasard de l'autre côté de l'Atlantique. Pourtant, nul pathos ni escroquerie putassière aux sentiments, c'est à petite touches ironiques que l'auteur convie le lecteur à un précieux moment de plaisir et d'intelligence.
Violette (8)
"Cependant elle s'avançait: ignorant de cette réputation éparse, son corps étroit, réfractaire et qui n'en avait rien absorbé était obliquement cambré sous une écharpe de surah violet; ses yeux maussades et clairs regardaient distraitement devant elle et m'avaient peut-être aperçu; elle mordait le coin de sa lèvre; je la voyais redresser son manchon, faire l'aumône à un pauvre, acheter un bouquet de violettes à une marchande, avec la même curiosité que j'aurais eue à regarder un grand peintre donner des coups de pinceau."
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
mercredi 2 juillet 2008
mardi 1 juillet 2008
Marcel méméticien.
"On est l'homme de son idée; il y a beaucoup moins d'idées que d'hommes, ainsi tous les hommes d'une même idée sont pareils. Comme une idée n'a rien de matériel, les hommes qui ne sont que matériellement autour de l'homme d'une idée ne la modifient en rien."
[...]
"Mais j'avais compté sans le revers qu'avait la gentille admiration de Robert pour moi et pour quelques autres personnes. Cette admiration se complétait d'une si entière assimilation de leurs idées, qu'au bout de quarante-huit heures il avait oublié que ces idées n'étaient pas de lui. Aussi en ce qui concernait ma modeste thèse, Saint-Loup, absolument comme si elle eût toujours habité son cerveau et si je ne faisais que chasser sur ses terres, crut devoir me souhaiter la bienvenue avec chaleur et m'approuver.
- Mais oui! Le milieu n'a pas d'importance.
Et avec la même force que s'il avait eu peur que je l'interrompisse ou ne le comprisse pas:
- La vraie influence, c'est celle du milieu intellectuel! On est l'homme de son idée!
Il s'arrêta un instant, avec le sourire de quelqu'un qui a bien digéré, laissa tomber son monocle, et posant son regard comme une vrille sur moi:
- Tous les hommes d'une même idée sont pareils, me dit-il, d'un air de défi. Il n'avait sans doute aucun souvenir que je lui avais dit peu de jours auparavant ce qu'il s'était en revanche si bien rappelé."
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
[...]
"Mais j'avais compté sans le revers qu'avait la gentille admiration de Robert pour moi et pour quelques autres personnes. Cette admiration se complétait d'une si entière assimilation de leurs idées, qu'au bout de quarante-huit heures il avait oublié que ces idées n'étaient pas de lui. Aussi en ce qui concernait ma modeste thèse, Saint-Loup, absolument comme si elle eût toujours habité son cerveau et si je ne faisais que chasser sur ses terres, crut devoir me souhaiter la bienvenue avec chaleur et m'approuver.
- Mais oui! Le milieu n'a pas d'importance.
Et avec la même force que s'il avait eu peur que je l'interrompisse ou ne le comprisse pas:
- La vraie influence, c'est celle du milieu intellectuel! On est l'homme de son idée!
Il s'arrêta un instant, avec le sourire de quelqu'un qui a bien digéré, laissa tomber son monocle, et posant son regard comme une vrille sur moi:
- Tous les hommes d'une même idée sont pareils, me dit-il, d'un air de défi. Il n'avait sans doute aucun souvenir que je lui avais dit peu de jours auparavant ce qu'il s'était en revanche si bien rappelé."
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
lundi 30 juin 2008
Test universel de comestibilité.
"Pour faire le test, il faut d'abord jeûner pendant huit heures. Puis diviser la plante en ses différentes parties - racine, feuille, tige, bourgeon et fleur - et frotter un petit morceau sur l'intérieur du poignet. S'il ne se passe rien, touchez avec ce morceau le bord interne de la lèvre pendant trois minutes, et s'il ne se passe rien après ça, mettez le sur la langue pendant un quart d'heure, et s'il ne se passe toujours rien après ça, mâchez-le sans l'avaler et gardez-le dans la bouche pendant un quart d'heure, et s'il ne se passe rien après ça, avalez et attendez huit heures, et s'il ne se passe rien après ça, mangez-en un quart de tasse, et s'il ne se passe rien après ça: c'est comestible."
Nicole Krauss, L'histoire de l'amour.
Nicole Krauss, L'histoire de l'amour.
dimanche 29 juin 2008
Au moins, ça défoule.
"Car elle était de mauvaise humeur, trépignait, pleurait, pour des raisons aussi incompréhensibles que celles des enfants qui s'enferment dans un cabinet noir, ne viennent pas dîner, refusant toute explication, et ne font que redoubler de sanglots quand, à bout de raisons, on leur donne des claques."
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
lundi 23 juin 2008
Violette (7)
"Un donjon sans épaisseur qui n'était qu'une bande de lumière orangée et du haut duquel le seigneur et sa dame décidaient de la vie et de la mort de leurs vassaux, avait fait place - tout au bout de ce "côté de Guermantes" où, par tant de beaux après-midi, je suivais avec mes parents le cours de la Vivonne - à cette terre torrentueuse où la duchesse m'apprenait à pêcher la truite et à connaître le nom des fleurs aux grappes violettes et rougeâtres qui décoraient les murs bas des enclos environnants;"
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
Marcel Proust, Le côté de Guermantes.
vendredi 20 juin 2008
Joël Egloff, L'étourdissement.

Le roman débute par une promenade touristique hilarante, sur fond de décharge et de station d'épuration, évocation alléchante d'un lieu enchanteur situé on le devine entre Soveso et Bhopal. Notre guide, employé aux abattoirs, poursuit sa chronique par une description du taudis dans lequel il vit, en compagnie de sa grand mère aux allures de Carmen Cru, et nous fait partager son quotidien tapissé de viscères, de cervelles et de sang.
De temps en temps, quelque chose permet d'échapper à la routine sanguinolente: la visite à une veuve qui s'ignore, pour lui annoncer que son mari a été victime d'un bœuf récalcitrant, ou encore la percée exceptionnelle du soleil derrière un ciel de plomb et d'amiante.
Une des qualités du roman tient au contraste entre ce qui est décrit, l'horreur que l'habitude finit par circonscrire, et des moments de pure poésie, par exemple lorsque le narrateur guide les avions lors de leur décollage, pour leur faire éviter les lignes de haute tension.
L'auteur réussit merveilleusement à doser des ingrédients qui à priori auraient pu rendre ce plat de tripes indigeste, à nous régaler d'une terrine de désespoir enduit d'humour chaplinesque.
Paradoxe du sorite.
Le nom du premier des neuf millions de morts de la première guerre mondiale: le caporal Peugeot. Mais après, ça s'est emballé, c'est allé beaucoup trop vite, et l'ordre des départs n'a plus eu trop d'importance.
jeudi 19 juin 2008
Retard et structuralisme.
Le retard, contrairement à la ponctualité, est contagieux, et nous allons démontrer cette assertion en usant d'une terminologie sausurienne, en distinguant retard diachronique et synchronique.
La contagion diachronique du retard est la plus pernicieuse, et peut être illustrée à l'aide d'un exemple très simple à comprendre: une certaine personne, que nous appellerons Greta pour la commodité de la démonstration, se plaint d'un retard à son entourage, et donne naissance huit mois plus tard à une deuxième personne, que nous appellerons Gertrud toujours pour la commodité de la démonstration. Gertrud atteint après quelques années passées auprès de sa mère l'âge de procréer, et ne tenant pas compte des précieux conseils de Greta, est atteinte à son tour du fameux retard. Elle donne naissance huit mois plus tard à une troisième personne, que nous ne nommerons pas, pour éviter les ragots. En appliquant le principe de récurrence (je rappelle, initialisation et hérédité de l'hypothèse de récurrence), je conclus sans retard.
Nous allons évoquer à présent pour la mise en évidence du retard synchronique le cas de Hans. Celui-ci, chauffeur de taxi, suite à une expérience de vie plus longue que prévue avec Gertrud, a attrapé le retard (mais pas le même que Gertrud et Greta, attention). Il le transmet alors à son client, Otto, lui-même pilote d'avion. Ce dernier peut alors transmettre son retard à tous les passagers du vol régulier Berlin Berne. La contagion s'arrête pourtant, car Otto a mis le turbo. Ce qui ne l'empêchera pas (mais c'est une autre histoire), de transmettre le retard diachronique à Gisela, hôtesse de l'air, qui n'était pas en retard synchronique, heureusement.
Nous démontrerons demain pourquoi la ponctualité n'est pas contagieuse.
La contagion diachronique du retard est la plus pernicieuse, et peut être illustrée à l'aide d'un exemple très simple à comprendre: une certaine personne, que nous appellerons Greta pour la commodité de la démonstration, se plaint d'un retard à son entourage, et donne naissance huit mois plus tard à une deuxième personne, que nous appellerons Gertrud toujours pour la commodité de la démonstration. Gertrud atteint après quelques années passées auprès de sa mère l'âge de procréer, et ne tenant pas compte des précieux conseils de Greta, est atteinte à son tour du fameux retard. Elle donne naissance huit mois plus tard à une troisième personne, que nous ne nommerons pas, pour éviter les ragots. En appliquant le principe de récurrence (je rappelle, initialisation et hérédité de l'hypothèse de récurrence), je conclus sans retard.
Nous allons évoquer à présent pour la mise en évidence du retard synchronique le cas de Hans. Celui-ci, chauffeur de taxi, suite à une expérience de vie plus longue que prévue avec Gertrud, a attrapé le retard (mais pas le même que Gertrud et Greta, attention). Il le transmet alors à son client, Otto, lui-même pilote d'avion. Ce dernier peut alors transmettre son retard à tous les passagers du vol régulier Berlin Berne. La contagion s'arrête pourtant, car Otto a mis le turbo. Ce qui ne l'empêchera pas (mais c'est une autre histoire), de transmettre le retard diachronique à Gisela, hôtesse de l'air, qui n'était pas en retard synchronique, heureusement.
Nous démontrerons demain pourquoi la ponctualité n'est pas contagieuse.
mercredi 18 juin 2008
Recette (2)
"Me laissant glisser au milieu d'eux, m'imprégnant de leur vie, partageant la couche de l'un, la table de l'autre ou le divan d'un troisième, tâtant leur médiocrité, palpant ma propre bassesse, j'aurais décrit mon insuffisance à l'aune de leur vanité, et nous aurions valsé les uns contre les autres, pareillement négligeables et futiles, bavardant de choses mesquines en attendant une fin acceptable. C'est comme cela que j'ai toujours écrit mes histoires, en découpant des lamelles de mon existence, m'astreignant à les détailler, le soir, dans le calme de ma pièce de travail. Aussi longtemps que je l'ai pratiqué, cet exercice m'a procuré une satisfaction comparable à celle que l'on peut éprouver lorsqu'on se débarrasse d'un comédon."
Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi.
Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi.
mardi 17 juin 2008
lundi 16 juin 2008
Une image du bonheur.
"Cela me procure une sensation fugitive de bonheur, comparable au sentiment du devoir accompli que l'on éprouve après avoir tondu une pelouse."
Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi.
Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi.
Recette.
"La recette pour devenir un bon romancier [...] est facile à donner, mais sa mise en pratique suppose des qualités qu'on a coutume de négliger quand on dit: "Je n'ai pas assez de talent." On doit simplement rédiger une centaine de résumés de romans, pas plus de deux pages chacun, mais d'une telle précision que chaque mot y est nécessaire; on doit noter chaque jour des anecdotes jusqu'à ce qu'on ait appris à leur donner la forme la plus éloquente et efficace; on doit observer et décrire infatigablement les divers types humains et caractères; on doit surtout raconter des choses aux autres et écouter les autres en raconter, en gardant les yeux et les oreilles bien ouverts pour juger de l'effet produit sur les personnes présentes, on doit voyager comme un peintre de paysages ou un couturier [..] on doit enfin réfléchir aux motifs des actions humaines, ne dédaigner aucune source d'instruction à leur sujet et accumuler tout cela jour et nuit. On doit persévérer dans ces multiples exercices pendant une dizaine d'années; ce qui sera alors créé dans l'atelier [...] méritera d'aller dans le monde."
Stendhal par Nietzsche.
Stendhal par Nietzsche.
dimanche 15 juin 2008
Abyme.
"Il est tentant de citer les auteurs quand ils expriment ce que nous pensons, mais avec une clarté et une justesse psychologique auxquelles nous ne pouvons prétendre. Ils nous connaissent mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes. Ce qui est indécis et confus en nous, ils le formulent succinctement et élégamment; nos traits et annotations au crayon dans les marges de leurs livres, et nos emprunts, indiquent où nous trouvons un écho de nous-mêmes, une phrase ou deux qui reflètent l'essence même de ce que nous pensons ou ressentons - une convergence encore plus frappante si l'œuvre a été écrite à l'époque des toges et des sacrifices d'animaux. Nous invitons ces mots dans nos propres livres en hommage à la faculté qu'ils ont de nous éclairer sur nous-mêmes."
Alain De Botton, Les consolations de la philosophie.
Alain De Botton, Les consolations de la philosophie.
samedi 14 juin 2008
S'inventer.
"C'est cela: les personnages des romans, à l'instar de ceux des récits religieux mais de façon bien plus complexe, nous fournissent des modèles et des anti-modèles de comportement. Ils nous donnent de la distance précieuse par rapport aux êtres qui nous entourent, et - plus important encore - par rapport à nous-mêmes. Ils nous aident à comprendre que nos vies sont des fictions - et que, du coup, nous avons le pouvoir d'y intervenir, d'en modifier le cours."
Nancy Huston, L'espèce fabulatrice.
Nancy Huston, L'espèce fabulatrice.
jeudi 12 juin 2008
Des rêves.
mercredi 11 juin 2008
Violette (6)
"Il en était d'Albertine comme de ses amies. Certains jours, mince, le teint gris, l'air maussade, une transparence violette descendant obliquement au fond de ses yeux comme il arrive quelquefois pour la mer, elle semblait éprouver une tristesse d'exilée."
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.
mardi 10 juin 2008
Parler me tue.
"La conversation même qui est le mode d'expression de l'amitié est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir. Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d'une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur, la seule direction qui ne nous soit pas fermée, où nous puissions progresser, avec plus de peine il est vrai, pour un résultat de vérité."
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.
samedi 7 juin 2008
Deviens ce que tu es.
"Il n'y a pas d'homme si sage qu'il soit, me dit-il [Elstir], qui n'ait à telle époque de sa jeunesse prononcé des paroles, ou même mené une vie, dont le souvenir ne lui soit désagréable et qu'il souhaiterait être aboli. Mais il ne doit pas absolument le regretter, parce qu'il ne peut être assuré d'être devenu un sage, dans la mesure où cela est possible, que s'il a passé par toutes les incarnations ridicules ou odieuses qui doivent précéder cette dernière incarnation-là. Je sais qu'il y a des jeunes gens, fils et petit-fils d'hommes distingués, à qui leurs précepteurs ont enseigné la noblesse de l'esprit et l'élégance morale dès le collège. Ils n'ont peut-être rien à retrancher de leur vie, ils pourraient publier et signer tout ce qu'ils ont dit, mais ce sont de pauvres esprits, descendants sans force de doctrinaires, et de qui la sagesse est négative et stérile. On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même, après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. Les vies que vous admirez, les attitudes que vous trouvez nobles n'ont pas été disposées par le père de famille ou par le précepteur, elles ont été précédées de débuts bien différents, ayant été influencées par ce qui régnait autour d'elles de mal ou de banalité. Elles représentent un combat et une victoire. Je comprends que l'image de ce que nous avons été dans une période première ne soit plus reconnaissable et soit en tout cas déplaisante. Elle ne doit pas être reniée pourtant, car elle est un témoignage que nous avons vraiment vécu, que c'est selon les lois de la vie et de l'esprit que nous avons, des éléments communs de la vie, de la vie des ateliers, des coteries artistiques, s'il s'agit d'un peintre, extrait quelque chose qui les dépasse."
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.
Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.
L'esquive, Abdellatif Kechiche.
Excellent film qui démontre qu'au delà du langage propre à une petite tribu, jetée dans un lieu et une époque qu'elle n'a pas choisi, ce sont les mêmes émotions, les mêmes rêves qui animent
l'humanité.
N'en déplaise aux Finkielkraut et autres Renaud Camus, pourfendeurs auto proclamés du déclin de la langue et de la pensée françaises, l'amour et l'expression de ses sentiments n'appartiennent pas seulement à une petite basse cour élevée au bon grain de la rhétorique. De même, la curiosité intellectuelle que certains jeunes manifestent pour les fleurons d'une littérature qui peut leur apparaître difficile d'accès, en l'occurrence la pièce de Marivaux, est une leçon à méditer pour ces matamores démolisseurs d'une culture à laquelle ils refusent même le nom.
Lydia et Krimo, les deux personnages principaux du film, expriment leurs sentiments dans une langue autre que celle pratiquée dans l'arène des hautes écoles de notre république si fraternelle et si égalitaire. Pourtant quelque chose passe d'intense, de profond, de juste. Cette langue métissée et vivante, débordante d'énergie, finit par créer une poésie originale, à condition de quitter les boules quiès fournies gracieusement par ce nouveau clergé, soutien le plus fervent des puissances karcherisseuses.
l'humanité.
N'en déplaise aux Finkielkraut et autres Renaud Camus, pourfendeurs auto proclamés du déclin de la langue et de la pensée françaises, l'amour et l'expression de ses sentiments n'appartiennent pas seulement à une petite basse cour élevée au bon grain de la rhétorique. De même, la curiosité intellectuelle que certains jeunes manifestent pour les fleurons d'une littérature qui peut leur apparaître difficile d'accès, en l'occurrence la pièce de Marivaux, est une leçon à méditer pour ces matamores démolisseurs d'une culture à laquelle ils refusent même le nom.
Lydia et Krimo, les deux personnages principaux du film, expriment leurs sentiments dans une langue autre que celle pratiquée dans l'arène des hautes écoles de notre république si fraternelle et si égalitaire. Pourtant quelque chose passe d'intense, de profond, de juste. Cette langue métissée et vivante, débordante d'énergie, finit par créer une poésie originale, à condition de quitter les boules quiès fournies gracieusement par ce nouveau clergé, soutien le plus fervent des puissances karcherisseuses.
dimanche 1 juin 2008
Philippe Djian, entretien pour telerama
Philippe Djian : "Inventer une histoire est sans importance. C'est la langue qui compte."
Réflexions convaincantes sur le métier d'écrivain, sur son rôle d'interprète du monde, sur l'importance de ne pas laisser le champ de la culture populaire aux vendeurs de clichés et autres marchands de mots, et aucune faute de goût dans les références citées.jeudi 29 mai 2008
La méthode, Marcelo Pineyro.
Jusqu'où iriez-vous pour décrocher un poste?
Sept candidats, deux femmes et cinq hommes, sont réunis dans une salle, pour être embauchés par une multinationale à un poste de cadre supérieur. On comprend rapidement que cette méthode de sélection (méthode Grönholm) consiste en leur élimination successive les uns par les autres, jusqu'au dernier en lice qui sera recruté.
On retrouve l'atmosphère étouffante de "Douze Hommes en colère", de Lumet. Ce huit clos est l'occasion de mettre en scène la violence des rapports humains, quand la soumission à l'autorité qui embauche l'emporte sur la morale individuelle . Excepté au tout début du film, aucun des participants à l'entretien d'embauche ne remet plus en cause par la suite la méthode de sélection, qui les conduit pourtant à s'éliminer les uns les autres pour les plus mauvaises raisons.
C'est une fable réussie autour des "qualités" nécessaires à la survie en milieu capitaliste.
Sept candidats, deux femmes et cinq hommes, sont réunis dans une salle, pour être embauchés par une multinationale à un poste de cadre supérieur. On comprend rapidement que cette méthode de sélection (méthode Grönholm) consiste en leur élimination successive les uns par les autres, jusqu'au dernier en lice qui sera recruté.
On retrouve l'atmosphère étouffante de "Douze Hommes en colère", de Lumet. Ce huit clos est l'occasion de mettre en scène la violence des rapports humains, quand la soumission à l'autorité qui embauche l'emporte sur la morale individuelle . Excepté au tout début du film, aucun des participants à l'entretien d'embauche ne remet plus en cause par la suite la méthode de sélection, qui les conduit pourtant à s'éliminer les uns les autres pour les plus mauvaises raisons.
C'est une fable réussie autour des "qualités" nécessaires à la survie en milieu capitaliste.
mercredi 28 mai 2008
Violette (5)
"_ Non, non, non, non, nous restons cachés, comme l'humble violette."
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust.
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust.
dimanche 25 mai 2008
Violette (4)
Une grande cocotte, comme elle avait été [Odette Swann], vit beaucoup pour ses amants, c'est à dire chez elle, ce qui peut la conduire à vivre pour elle. Les choses que chez une honnête femme on voit et qui certes peuvent lui paraître, à elle aussi, avoir de l'importance, sont celles, en tout cas, qui pour la cocotte ne ont le plus. Le point culminant de sa journée est non pas celui où elle s'habille pour le monde, mais où elle se déshabille pour un homme. Il lui faut être aussi élégante en robe de chambre, en chemise de nuit, qu'en toilette de ville. D'autres femmes montrent leurs bijoux, elle, elle vit dans l'intimité de ses perles. Ce genre d'existence impose l'obligation, et finit par donner le goût d'un luxe secret, c'est-à-dire bien près d'être désintéressé. Mme Swann l'étendait aux fleurs. Il y avait toujours près de son fauteuil une immense coupe de cristal remplie entièrement de violettes de Parme ou de marguerites effeuillées dans l'eau, et qui semblait témoigner aux yeux de l'arrivant de quelque occupation préférée et interrompue, comme eût été la tasse de thé que Mme Swann eût bue seule, pour son plaisir; d'une occupation plus intime et plus mystérieuse, si bien qu'on avait envie de s'excuser en voyant les fleurs étalées là, comme on l'eût fait de regarder le titre du volume encore ouvert qui eût révélé la lecture récente, donc peut-être la pensée actuelle d'Odette. Et plus que le livre, les fleurs vivaient; on était gêné si on entrait faire une visite à Mme Swann de s'apercevoir qu'elle n'était pas seule, ou, si on rentrait avec elle, de ne pas trouver le salon vide, tant y tenaient une place énigmatique et se rapportant à des heures de la vie de la maîtresse de maison qu'on ne connaissait pas, ces fleurs qui n'avaient pas été préparées pour les visiteurs d'Odette mais comme oubliées là par elle, avaient eu et auraient avec elle des entretiens particuliers qu'on avait peur de déranger et dont on essayait en vain de lire le secret, en fixant des yeux la couleur délavée, liquide, mauve et dissolue des violettes de Parme.
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust.
A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust.
jeudi 22 mai 2008
Violette (3)
"Lorsque Marcel dit que le nom de Parme lui apparaissait "compact, lisse, mauve et doux", il est bien évident qu'au moins la notation de couleur a plus à faire avec les violettes de la ville qu'avec la sonorité du nom, et cette évidence est confirmée quelques lignes plus bas: "je l'imaginais seulement (la demeure parmesane où il rêve d'habiter quelques jours) à l'aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes". L'analyse sémantique nous est donc offerte ici par Proust lui-même, qui affecte clairement les qualités de compact et sans doute de lisse à l'influence du nom, la couleur mauve à la connaissance par ouï-dire des violettes, et la douceur au souvenir de la Chartreuse: le signifiant agit bien sur le signifié pour faire imaginer à Marcel une ville où tout est lisse et compact, mais le signifié agit tout autant sur le signifiant pour lui faire percevoir le "nom" de cette ville comme mauve et doux."
Figures II, Gérard Genette.
Figures II, Gérard Genette.
Sur les épaules des géants (1)
"_ Tom, a décrété Paulo, c'est un prénom de héros.
_ Ah bon? s'est étonné l'homme. C'est pourtant banal. Je me demande ce qui a pu te donner cette idée.
_ Eh bien, a répondu Paulo en haussant les épaules comme s'il s'agissait d'une évidence, c'est Tom Joad.
_ Tom qui? a fait Nadège en fronçant les sourcils. Je connaissais Ton Cruise, mais là, je vois pas.
_ Moi non plus, a souri l'homme. C'est un personnage de manga? Un jeu vidéo? Un basketteur?
_ Ben non, a murmuré Paulo d'un air gêné. C'est le héros des Raisins de la colère.
L'homme a sursauté.
_ Les raisins de la colère, mais quel âge as-tu donc, Paulo? Onze ans, douze ans? Et tu lis Steinbeck?
J'ai senti mes poumons se gonfler de fierté. Eh oui, il lit, mon Paulo. Steinbeck, Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Romain Gary et un tas d'autres dont j'ai oublié le nom. Tous les soirs, y compris après l'extinction des feux. Il fait semblant de croire que je n'ai pas remarqué la lueur de la lampe de poche sous les draps et moi je fais semblant de croire qu'il dort paisiblement."
Providence, Valérie Tong Cuong.
_ Ah bon? s'est étonné l'homme. C'est pourtant banal. Je me demande ce qui a pu te donner cette idée.
_ Eh bien, a répondu Paulo en haussant les épaules comme s'il s'agissait d'une évidence, c'est Tom Joad.
_ Tom qui? a fait Nadège en fronçant les sourcils. Je connaissais Ton Cruise, mais là, je vois pas.
_ Moi non plus, a souri l'homme. C'est un personnage de manga? Un jeu vidéo? Un basketteur?
_ Ben non, a murmuré Paulo d'un air gêné. C'est le héros des Raisins de la colère.
L'homme a sursauté.
_ Les raisins de la colère, mais quel âge as-tu donc, Paulo? Onze ans, douze ans? Et tu lis Steinbeck?
J'ai senti mes poumons se gonfler de fierté. Eh oui, il lit, mon Paulo. Steinbeck, Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Romain Gary et un tas d'autres dont j'ai oublié le nom. Tous les soirs, y compris après l'extinction des feux. Il fait semblant de croire que je n'ai pas remarqué la lueur de la lampe de poche sous les draps et moi je fais semblant de croire qu'il dort paisiblement."
Providence, Valérie Tong Cuong.
mercredi 21 mai 2008
Violette (2)
"_ Pour vous, monsieur, ce sera?
_ Un macaron à la violette.
La jeune vendeuse m'a remis mon trophée.
_Et pour madame?
Derrière moi, une femme en tailleur, cheveux tirés en chignon, collier de brillants, traits mûrs, souriait de gourmandise.
_ Violette, quelle bonne idée: je n'y aurais jamais pensé.
_ Je regrette, ce monsieur a pris le dernier.
_ Ah, à soupiré la femme, pour une fois que je me lançais ...
Je lui ai tendu le macaron.
_ La violette convient mieux à une dame. Je prendrai un opéra, mademoiselle."
Providence, Valérie Tong Cuong.
_ Un macaron à la violette.
La jeune vendeuse m'a remis mon trophée.
_Et pour madame?
Derrière moi, une femme en tailleur, cheveux tirés en chignon, collier de brillants, traits mûrs, souriait de gourmandise.
_ Violette, quelle bonne idée: je n'y aurais jamais pensé.
_ Je regrette, ce monsieur a pris le dernier.
_ Ah, à soupiré la femme, pour une fois que je me lançais ...
Je lui ai tendu le macaron.
_ La violette convient mieux à une dame. Je prendrai un opéra, mademoiselle."
Providence, Valérie Tong Cuong.
samedi 10 mai 2008
Violette (1)
"je restais seul en compagnie d'orchidées, de roses et de violettes - qui pareilles à des personnes qui attendent à côté de vous mais ne vous connaissent pas - gardaient un silence que leur individualité de choses vivantes rendait plus impressionnant et recevaient frileusement la chaleur d'un feu incandescent de charbon, précieusement posé derrière une vitrine de cristal, dans une cuve de marbre blanc où il faisait écrouler de temps à autre ses dangereux rubis."
A l'ombre des jeunes filles en fleur, Marcel Proust.
A l'ombre des jeunes filles en fleur, Marcel Proust.
jeudi 27 décembre 2007
Nancy Huston, Professeurs de désespoir.

Voilà un cassage de gueules en règle. Nancy convie dans un combat de boxe le champion du monde en pessimisme, Schopenhauer, puis à la suite, quelques uns de ses héritiers spirituels: Beckett, Cioran, Amèry, Kertész, Bernhard, Kundera, Jelinek, Houellebecq, Sarah Kane, Angot, et Linda Lê. Et même pas mal !!!!!!
La recette: elle esquisse à grands traits une biographie dont elle tire un nombre certain de points communs: enfance malheureuse (maman étouffante, papa absent ou violent), refus de l'engendrement, adhésion au communisme ou au nazisme.
Puis, à renfort de citations, elle cherche à nous faire sentir une proximité idéologique entre Hitler et tous ces écrivains, qu'elle qualifie de néantistes. C'est d'ailleurs là le point faible de l'essai: la confusion entre ce que pense le romancier, et ce qu'il fait dire à ses personnages. Hormis le cas Angot, qui se met en scène dans ses "autofictions", il me paraît abusif de prétendre à une identité de vue entre l'auteur et ses personnages. C'est pourtant la stratégie destructrice à laquelle se livre Nancy Huston.
Par contre, ce qui à mon avis est le plus intéressant dans cet essai, et ce qui n'est pas suffisamment approfondi, c'est le questionnement sur le succès croissant de cette littérature de la noirceur, cette prédilection des lecteurs pour une littérature de l'avilissement systématique de tous les sentiments humains. Elle en esquisse quelques traits: l'attrait pour ce qui nous est étranger: de la guimauve quand tout va mal, de la bile quand tout va bien. Une sorte d'illustration littéraire de la pyramide de Maslow. C'est un peu court. Le comportement moutonier des lecteurs qui suivent les prescriptions de quelques critiques atrabilaires me semble plus convaincant.
Le livre de Nancy Huston est malgré ces quelques réserves intéressant, comme à chaque fois qu'un écrivain s'interroge sur son métier d'écrire. Et on pardonne tout à celle qui rend hommage à l'écrivain culte de mon adolescence, Romain Gary.
lundi 10 décembre 2007
John Cazale

J'ai revu hier soir "Un après-midi de chien", de Sidney Lumet. Ce film ne vieillit pas: ce scénario incroyable, tiré d'un fait divers réel, est au service d'une distribution brillante: c'est l'un des chefs d'oeuvre des seventies.
C'était l'occasion d'admirer à nouveau cet acteur formidable qu'est John Cazale. On ne retient souvent du film que le numéro d'acteur virtuose d'Al Pacino, mais l'incarnation subtile de Sal, entre l'Idiot de Dostoïevski et Jack l'éventreur, ce talent à faire apparaître derrière le tueur fou l'innocence d'un simple d'esprit, aurait pu lui valoir l'oscar que Jack Nicholson a finalement obtenu la même année pour "Vol au dessus d'un nid ce coucou".
John Cazale n'a pas eu le destin que son talent lui promettait: emporté par un cancer à 42 ans, il a laissé un espace vide aux côtés des deux géants italo-américain de sa génération.
samedi 8 décembre 2007
Un Khadafre dans le Sarkophage
Une infirmière, un missile, une autre infirmière, un autre missile.
On sait enfin ce que valent les malheureuses infirmières bulgares: quelques missiles à une dictature soutien du terrorisme (ils ont prévu dans le contrat de ne pas faire sauter un hôpital rempli d'infirmières françaises), et la première visite officielle dans une démocratie occidentale du colonel. La marge est étroite entre réal politique et honteuse compromission.
On sait enfin ce que valent les malheureuses infirmières bulgares: quelques missiles à une dictature soutien du terrorisme (ils ont prévu dans le contrat de ne pas faire sauter un hôpital rempli d'infirmières françaises), et la première visite officielle dans une démocratie occidentale du colonel. La marge est étroite entre réal politique et honteuse compromission.
vendredi 7 décembre 2007
vendredi 23 novembre 2007
Jean-Louis Aubert à Béthune.

Aubert à la guitare, aux percussions, au piano, à l'harmonica, et tout ça en même temps: il aurait pu intituler sa tournée "un groupe à moi tout seul".
S'il est vrai que je me suis laissé prendre au début à la performance de cet original "tambourine man", le charme a fini d'agir quand les gadgets électroniques sont devenus tout l'espace du concert. A quoi bon se présenter seul sur scène pour finir par chanter sur des enregistrements?
Finalement, le plus beau, ce fut quand Aubert est revenu au simplissime piano-voix: ce n'était plus un chanteur tentant de se métamorphoser en groupe à lui tout seul, il était redevenu un homme généreux, moins préoccupé de jongler avec des boutons de magnétophones que de partager des moments d'émotion avec son public.
Un petit mot sur le service d'ordre quand même: on a eu l'impression d'entrer à un meeting du front national, ce qui fait tâche quand on prétend sur scène être gauchiste...
mercredi 21 novembre 2007
samedi 8 septembre 2007
Quinze zhéros

"Travailler plus pour gagner plus." Ils avaient promis.
Alors on a travaillé toujours plus, soulevé des tonnes de fontes. On a reculé notre seuil de tolérance à la douleur, on a supporté l'acide lactique qui rongeait nos muscles, on a sacrifié notre plaisir à la promesse de victoires annoncée par notre chef.
Juste avant le match, notre petit président chéri a déclaré, à un journaliste de la télé, que ses capacités d'organisation et son allure frêle lui auraient permis d'occuper le poste de demi de mêlée. On le savait spécialiste de l'ouverture, du contre pied et du tango argentin, alors on a pris cela pour une heureuse augure.
Puis ce fut le coup d'envoi. Et la découverte: eux aussi avaient travaillé dur, eux aussi voulaient gagner. Et ils ont gagné. Nous pensions pourtant avoir travaillé plus durs qu'eux, et ce sont eux qui ont gagné. On s'est sentis trahis. Par notre chef. Il nous avaient promis la gagne contre toujours plus d'effort, mais c'est le goût âcre de la défaite qui nous est resté comme une boule de bile ovale au fond de la gorge.
Notre chef aura sa place à côté du petit président. C'est sa promesse de victoire. Mais le petit président promet beaucoup, et trahit beaucoup ...
vendredi 17 août 2007
Mode du moyen âge.

Hier, invité à boire un apéritif avant le dîner, j'ai goûté de l'hypocras, une sorte de vin sucré aux relents de Synthol. Après m'être massé la nuque avec le fond du verre, je me suis penché sur l'étiquette de la bouteille: "apéritif à la mode au Moyen Âge".
Je connaissais la peste, la guerre de cent ans et le servage entre autres "modes" caractéristiques de cette époque, mais j'ignorais jusqu'ici que les croquants, après leur dure journée de labeur aux champs, se réunissaient autour de cacahuètes pour boire l'apéro local. Je les imaginerai dorénavant s'ouvrant l'appétit, s'encourageant mutuellement, afin de se donner de l'allant avant de passer à table, pour se régaler d'un bon fricot de légumes et de racines cuit et recuit.
mardi 14 août 2007
L'étranger, Albert Camus

Hier matin, en me promenant sur une braderie, je suis passé devant le stand d'une lycéenne qui se débarrassait de son stock de lectures obligatoires de l'année. Entre autres pépites se trouvait l'étranger, que je me suis empressé d'acheter pour le quart de la moitié du prix d'un Spirou. J'avais l'intention hier soir d'en relire quelques passages avant de dormir, pour me réchauffer au soleil d'Alger, histoire d'oublier ces pluies d'été qui n'en finissent pas d'annoncer l'automne.
Pages après pages, j'ai oublié le temps, happé par la confession de Meursault, et c'est tard dans la nuit que j'en ai fini la lecture. Écrit il y a plus de soixante ans, le livre n'a rien perdu de sa force, il continue d'étonner par cet équilibre entre simplicité de la prose et profondeur de la réflexion. Ce qui rend ce livre toujours aussi moderne, c'est que les questions soulevées ne seront jamais résolues, toute société humaine impliquant un choix entre conformisme et liberté d'action, et les réponses ne peuvent être apportées qu'au niveau individuel.
dimanche 12 août 2007
Stanley Milgram,La Soumission à l'autorité

Je connaissais bien sûr la célèbre expérience qui conduit M Toutlemonde à se comporter en tortionnaire. Ce livre m'a pourtant surpris: son sujet n'est pas la simple description des différents protocoles que Milgram a mis au point. A partir des résultats incroyables qu'il a observé, Milgram ouvre une réflexion d'une profondeur remarquable sur le processus de perte de conscience morale dès lors que l'homme se trouve en situation de maillon d'une organisation dont il respecte l'autorité. Sa théorie sur le passage à l'état agentique pour expliquer des agissements qui seraient condamnés théoriquement par ceux-mêmes qui les commettent est une réponse convaincante à la question des crimes de guerre et autres joyeusetés dont se rendent coupables de bons pères de familles dans certaines conditions. Sans angélisme, l'auteur explique que la soumission indispensable à une organisation protectrice et efficace s'accompagne d'une perte d'autonomie de la conscience, que le gain en terme de sécurité peut se payer d'un abandon de sa capacité à distinguer le bien et le mal.
Milgram a écrit un des plus grands livres du vingtième siècle sur la relation de l'homme à la société dans laquelle il vit. On ne peut s'empêcher de traquer le Eichman qui sommeille en chacun de nous après cette lecture.
mercredi 1 août 2007
La ballade de l'impossible, Haruki Murakami.

Il y pleut à verse dans ce livre. On y boit des alcools forts en grande variété et quantité, on y écoute de la musique anglo saxonne des années soixante, et on y lit du Fitzgerald, du Faulkner, du Thomas Mann. Tout cela ne ressemble pas à ce qu'on attend d'un romancier japonais.
Watanabe, le héros du livre, nous raconte, vingt ans après, sa sortie de l'adolescence, son entrée dans l'âge adulte, de ses dix sept ans à ses vingt ans. C'est un air des Beatles entendu dans un aéroport qui fait resurgir ses souvenirs de jeunesse. L'auteur nous emmene à la rencontre de personnages extraordinaires, nous exposant avec lucidité et sincérité la part d'hombre que chacun porte en soi. L'atmosphère du livre est envoutante, tout contribue à nous plonger dans une ambiance de fin de soirée entre amis, quand s'échangent des idées vagues et essentielles sur la vie, la mort et l'amour.
Murakami a trouvé un ton personnel entre réalisme et fantastique qui donne à l'ensemble un équilibre rare entre humour, émotion et poèsie. Ainsi, une maison de repos où on cultive de magnifiques légumes, où on ne distingue pas les patients du personnel soignant, finit par aparaître de manière étrange comme la réplique miniature de notre monde. Des situations les plus banales, l'auteur en fait ressortir à petites touches les dissonances, puis les amplifie jusqu'à nous transporter très loin dans les profondeurs de l'âme humaine, mais toujours avec une subtile dose d'ironie.
samedi 28 juillet 2007
L'éloge de la fuite, Henri Laborit

La partie de l'ouvrage qui traite des choix politiques est datée. Elle pourra intéresser par son aspect documentaire sur une époque où la ligne de fracture idéologique se situait au niveau de l'affrontement entre capitalisme et communisme. Il est amusant de lire trente ans après des arguments usés jusqu'à la corde sur la perversion des deux systèmes. On a une idée de ce qu'il adviendra dans trente ans des thèses sur le choc des civilisations, et du manichéisme simpliste présentant une lutte entre l'axe du mal et les forces de progrès.
La partie la plus intéressante est celle qui traite de la morale individuelle, et qui est résumée par le titre du livre: à choisir entre l'affrontement et la fuite devant une tension, c'est la deuxième option qu'il convient de favoriser. Mais entre l'affrontement et la soumission passive, l'auteur démontre qu'il vaut mieux se battre.
Pour cela, il soumet un rat à la gégène, et lui offre trois alternatives: la fuite, le combat contre un autre rat, ou la soumission passive à la torture. En mesurant les conséquences des trois actions sur le métabolisme du rat, il met en évidence que c'est la soumission qui déclenche le plus d'effets pervers sur sa santé: hypertension chronique, troubles du métabolisme. Ayant éliminé comme réponse possible à l'agression la soumission passive, il nous engage à opter de préférence pour la fuite plutôt que pour l'affrontement. Pourtant, si les circonstances imposent de se battre, que cela soit selon la devise de Don Quichotte, pour secourir la veuve et l'orphelin. L'engagement dans la lutte sera un moindre mal s'il se fait au côté du plus faible. Ce qui est très intéressant dans ce livre, c'est de définir une morale de l'action à partir des réactions animales de l'homme, de fonder des règles de vie sur une éthologie humaine.
L'autre thèse importante du livre est de nous convaincre que la croyance en notre libre arbitre, c'est notre méconnaissance d'une organisation qui nous détermine. Et c'est sans doute l'aspect le plus dérangeant du livre que de nous convaincre que notre existence est le résultat mécanique de la plongée d'un système nerveux dans un environnement particulier, que notre façon de pensée est déterminée dès notre conception dans une direction que nous ne maitrisons pas. Ce qui conduit l'auteur à concevoir la seule liberté possible pour l'individu du côté de la création, du développement de l'imagination, et à mettre au centre de tout système éducatif ce qui est susceptible de favoriser cette fuite dans l'imagination créative.
Un programme difficile à mettre en oeuvre dans le cadre d'un état, mais tout à fait réalisable dans le cadre de la cellule familiale.
vendredi 27 juillet 2007
Théorie de l'information.

"_Je ne suis pas douée pour parler. Ces derniers temps, c'est toujours comme ça. J'essaie de dire quelque chose, mais les mots qui me viennent à l'esprit sont inexacts. Parfois, je dis même tout le contraire de ce que je veux dire. Si je tente de rectifier, c'est encore pire. Je finis par ne plus savoir où j'en suis et je ne sais plus du tout ce que je voulais dire au départ. C'est comme si mon corps se séparait en deux parties qui joueraient à se poursuivre. Entre les deux se dresse un énorme pilier autour duquel elles tournent sans arrêt pour tenter de se rejoindre. Il y a toujours une autre partie de moi-même qui détient les mots corrects, que je n'arrive jamais à saisir...(Naoko releva la tête et me regarda dans les yeux.) Est-ce que tu comprends?
_On a tous plus ou moins la même impression, tu sais, lui dis-je. On essaie tous de s'exprimer, et on s'irrite de ne pas pouvoir le faire correctement."
Elle semblait légèrement désappointée par ce que je venais de dire.
"Ce n'est pas tout à fait ça, corrigea-t-elle, mais sans me fournir la moindre explication supplémentaire."
La ballade de l'impossible, H Murakami.
vendredi 20 juillet 2007
La fille sans qualité, Julie Zeh.

Julie Zeh aurait pu intituler son roman "Rage teutonne". En effet, on retrouve l'intrigue d'un des romans les plus noirs de Jim Thompson, "Rage noire".
L'action du roman se déroule en grande partie dans un lycée allemand, et met en scène deux adolescents surdoués et manipulateurs, qui sèment le désordre autour d'eux. Sur fond de théorie des jeux, l'auteur nous interroge sur la nature des relations de pouvoir, sur les moyens et les motifs du désir de domination.
Si ce roman fait pourtant écho au chef d'oeuvre de Robert Musil, c'est moins par le sujet que par le ton du roman qu'il se fait entendre. La profondeur de la réflexion, la subtilité de certaines métaphores et la lucidité sur les rapports humains font de cette lecture un moment enrichissant. Quelques longueurs pourtant révèlent la distance qui sépare la talentueuse Zeh du génial Musil. Les 500 pages de la fille sans qualité n'ont pas la densité des 2000 pages de l'homme sans qualité. C'est ce qui sépare un bain agréable dans une eau tiède d'un plongeon dans les eaux glacées d'un torrent.
vendredi 13 juillet 2007
La course au mouton sauvage, Murakami.

Remplacez Moby Dick par un mouton portant une étoile sur le dos, et vous pourrez avoir une très vague idée de l'intrigue de ce roman à la fois subtil et déjanté.
La quête du héros sans nom de cette histoire est improbable, et pourtant ça fonctionne: on ne décroche pas de la lecture, entre menace d'une organisation mafieuse, idylle avec la plus belle oreille nippone, et questions existentielles (pourquoi les bus n'ont pas de nom?).
J'y ai trouvé une lointaine parenté avec les premiers romans de J. Irving, à savoir cette irruption explosive de la fantaisie dans la quotidienneté d'une existence banale.
samedi 7 juillet 2007
Sur la nature du désir de puissance.

"La paranoïa est au sens littéral du mot une maladie de la puissance. Une étude de cette maladie dans toutes les directions ouvre sur la nature de la puissance des perspectives d'une ampleur et d'une clarté impossibles à obtenir autrement. On ne doit pas se laisser égarer par le fait que, dans un cas comme celui de Schreber, le malade n'est jamais arrivé en vérité à la situation monstrueuse dont le désir le ronge. D'autres y sont arrivés. Certains ont réussi à effacer habilement les traces de leur ascension et à tenir secret leur système parachevé. Le succès ne dépend ici comme partout que des hasards. Leur remaniement sous le couvert d'une illusoire conformité à des lois, c'est ce qu'on appelle l'histoire. A la place de tous les grands noms de l'histoire pourraient en figurer, respectivement des centaines d'autres. Les talents sont aussi répandus dans l'humanité que la méchanceté."
Masse et puissance, Elias Canetti.
dimanche 1 juillet 2007
Aspect nippon du freudisme.

Bien sûr, il n'y avait pas de baleine dans l'aquarium. Une baleine, c'est tellement grand qu'il aurait fallu raser l'ensemble de l'aquarium et lui réserver au même endroit un seul et unique bassin. A défaut de baleine, l'aquarium exposait un pénis de l'espèce. Un ersatz en quelque sorte. [...]
Il m'apparaissait tantôt comme une sorte de petit palmier desséché, tantôt comme un gigantesque épi de maïs. Sans l'écriteau portant la mention "Organe reproducteur du mâle de la baleine", personne n'aurait pu deviner de quoi il s'agissait. C'était, plutôt qu'à l'océan Antarctique et à l'un de ses produits, à quelque vestige déterré dans un désert du centre de l'Asie qu'il faisait penser. Il ne ressemblait ni à mon propre pénis ni à aucun de ceux que j'avais pu voir jusque-là. Comment dire? Il s'en dégageait quelque chose de difficile à exprimer, de triste, qui n'appartient qu'à un pénis coupé.
La course au mouton sauvage, Haruki Murakami.
lundi 18 juin 2007
Brelan perdant.

Comment ne pas faire d'information avec de l'information, ou comment ne pas construire de sens à l'aide de faits convergents?
Il existe des défaites qui sont des victoires: Carignon, Mellick et Juppé au tapis. Le crachat envoyé à la figure des électeurs leur est revenu en pleine face: il semble que le vent ait tourné. La fin de règne de Chirac confirme ce retour d'une relative probité au sein de la classe politique.
Il faudrait pourtant être naïf en concluant que l'honnêteté serait une valeur en hausse chez les politiciens professionnels. Mais du moins est-il intéressant de souligner que la démocratie réclame enfin une apparence de rigueur morale sans laquelle les limites infranchissables n'existent plus.
Ce sont à de tels événements qu'il est possible de mesurer les progrès de la démocratie, suffisamment lents pour que ces petits coups d'accélérateurs soient soulignés.
samedi 16 juin 2007
La guerre des chocolats, Robert Cormier.

220 pages lues en moins d'une journée.
L'écriture est sèche et nerveuse, comme un crochet au foie qui vous coupe le souffle à la fin du livre. Le théme central du roman est la question de la soumission à l'autorité. Dans un monde où tout le monde dit oui, par facilité, par conformisme, Jerry, le personnage central du roman, décide de dire non. Le mouton noir devient alors une proie vite repérable au milieu du troupeau. Frère Léon, le chef auquel Jerry a refusé de se soumettre, va lancer toute sa meute de louveteaux enragés pour que tout rentre dans l'ordre. S'engage alors une lutte désespérée entre un adolescent paumé, dépassé par la tournure que prennent les événements, et Archie, le disciple le plus doué de Frère Léon en manipulation d'opinion et pouvoir d'intimidation.
La littérature américaine dans ce qu'elle a de meilleur: la simplicité apparente de la forme au service d'une réflexion sans concession.
lundi 11 juin 2007
Un dimanche après midi devant la télévision.

Giesbert invitant Le Clézio, le contraste était saisissant: la vulgarité et l'élégance incarnées.
Dès que Le Clézio pouvait prendre la parole que distribuait avec parcimonie le moi-je autosatisfait, ses propos atteignaient une profondeur que le journaliste tentait de combler à pleins seaux de poncifs et de lieux communs.
Pourtant, au delà des paroles échangées, la distance était mesurable à quelques détails scéniques. Il suffisait de couper le son du téléviseur à chaque fois que le bavard monopolisait la parole, ce qui laissait beaucoup de temps à la contemplation des seules images.
La caméra, en s'attardant avec complaisance sur le visage lifté et cosmétisé du journaliste, accentuait le relief du visage creusé de rides de Le Clézio , à la manière d'un négatif photographique, simple ébauche à peine reconnaissable d'un projet abouti. La marionnette habituée au guignol médiatique donnait son spectacle. On craignait pour le malheureux Giesbert une fonte du maquillage posé à la truelle, qui eût accompagné son naufrage intellectuel. Mais le fond de teint n'a pas coulé, lui.
On pouvait également s'intéresser à ce qu'ils portaient aux pieds: Le Clézio avait chaussé des sandales sur des chaussettes hors de saison, optant pour le confort plutôt que pour le conformisme. Giesbert, habitué à tous les cirages de pompes, portait de jolis souliers vernis: la brillance à hauteur de ver de terre.
Mais finalement, le plus évident, c'était cette gesticulation permanente de la marionnette, obnubilée par la volonté d'occuper l'espace physique, à laquelle répondait ce corps immobile, habité par une âme.
vendredi 8 juin 2007
La partie immergée de nos émotions.

"Encore un autre grand changement du monde intérieur d'André Bolkonsky: mortellement blessé à la bataille de Borodino, couché sur la table d'opération d'un camp militaire, il est subitement rempli d'un étrange sentiment de paix et de réconciliation, d'un sentiment de bonheur qui ne le quittera plus; cet état de bonheur est d'autant plus étrange (et d'autant plus beau) que la scène est d'une extraordinaire cruauté, pleine de détails affreusement précis sur la chirurgie à une époque qui ne connaissait pas l'anesthésie; et ce qui est plus étrange dans cet état étrange: il fut provoqué par un souvenir inattendu et illogique: quand l'infirmier lui ôta ses vêtements "André se rappela des jours lointains de sa première enfance". Et quelques phrases plus loin: "Après toutes ces souffrances, André éprouva un bien-être qu'il ne connaissait plus depuis longtemps. Les meilleurs instants de sa vie, sa première enfance notamment, quand on le déshabillait, qu'on le couchait dans son petit lit, que sa nourrice lui chantait des berceuses, que, la tête enfouie dans son oreiller, il est heureux de se sentir vivre, - ces instants se présentaient dans son imagination non pas comme le passé, mais comme la réalité." C'est seulement plus tard qu'André aperçut, sur une table voisine, son rival, le séducteur de Natacha, Anatole, à qui un médecin était en train de couper une jambe.
La lecture courante de cette scène: "André, blessé, voit son rival avec une jambe amputée; ce spectacle le remplit d'une immense pitié pour lui et pour l'homme en général." Mais Tolstoï savait que ces révélations subites ne sont pas dues à des causes si évidentes et si logiques. Ce fut une curieuse image fugitive (le souvenir de sa petite enfance quand on le déshabillait de la même façon que l'infirmier) qui déclencha tout, sa nouvelle métamorphose, sa nouvelle vision des choses. Quelques secondes après, ce miraculeux détail fut certainement oublié par André lui-même ainsi qu'il est probablement immédiatement oublié par la plupart des lecteurs qui lisent des romans aussi inattentivement et mal qu'ils "lisent" leur propre vie."
Milan Kundera, Les testaments trahis.
mercredi 6 juin 2007
Heureux qui comme Félix.

"Heureux celui qui ne demande pas plus à la vie qu'elle ne lui offre spontanément, et qui suit l'exemple donné par l'instinct des chats, qui recherchent le soleil quand il fait soleil et, en son absence, la chaleur, où qu'elle se trouve. Heureux celui qui renonce à sa personnalité pour son imagination, et qui fait ses délices du spectacle de la vie des autres, en vivant, non pas toutes les impressions, mais la représentation, tout extérieure, des impressions des autres. Heureux, enfin, celui qui renonce à tout, et auquel, puisqu'il a renoncé à tout, on ne peut plus rien enlever ni retrancher."
Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquilité.
jeudi 31 mai 2007
Le petit cheval blanc

"Ainsi on a souvent dit, au sujet de l'infanterie anglaise de la première guerre mondiale, que des sergents expérimentés mais d'humble extraction accomplissaient la tâche difficile d'apprendre, en cachette, à leurs nouveaux lieutenants à remplir un rôle dramatiquement expressif à la tête de la section et à se faire tuer rapidement dans une position pourvue d'un grand relief dramatique, en harmonie avec l'éducation de grands collèges qu'ils avaient reçue. Les sergents, pour leur part, conservaient leur place modeste à l'arrière de la section et s'efforçaient de rester en vie pour continuer à former d'autres lieutenants."
E Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne.
mercredi 30 mai 2007
L'élégance du Hérisson, Muriel Barbery

Une métaphore célèbre de Schopenhauer décrit la difficulté pour les hommes de trouver la bonne distance en société. Pour cela, il les compare à des hérissons au coeur de l'hiver:
la solitude les fait souffrir du froid, ils se collent les uns aux autres pour se donner un peu de chaleur; alors les piquants les blessent, et ils doivent s'isoler, mais le froid se fait à nouveau sentir, etc...
Muriel Barbery nous parle dans son roman de la difficulté à vivre seul, à vivre ensemble, à trouver l'eumétrie.
Ce roman nous interroge également sur notre manie du classement, sur notre difficulté à sortir de nos routines de pensées: les personnages ont deux faces, celle dont ils font la représentation sur la scène, et la face intime, riche, qu'ils donnent à voir à ceux qui font l'effort de soulever le rideau.
Un roman qui alterne tendresse, drôlerie et colère, qui donne à penser longtemps après l'avoir refermé: que demander de plus?
lundi 19 mars 2007
Giboulées de mars.

Après un début du mois de mars marqué par des températures estivales, la météo annonçait enfin pour aujourd'hui un temps de saison. Je me refusais à y croire, convaincu par les médias que le réchauffement de la planète était amorcé.
Mais le miracle annoncé eut pourtant lieu: un mélange de neige fondue et de pluie verglacée m'accompagna pendant ma promenade pédestre pour me rendre ce matin au lycée.
Quel intense bonheur de lancer aux collègues que je croisais: "Ça s'est refroidi", et d'entendre répondre avec un admirable sens de la répartie "Ce sont les giboulées de mars".
La terre s'était enfin remise à tourner dans le bon sens, les promesses de cataclysme et de fin du monde étaient renvoyées aux calendes grecques.
vendredi 23 février 2007
Lignes de faille, Nancy Houston

Nancy Houston nous raconte l'histoire d'une famille sur quatre générations, de la fin de la seconde guerre mondiale dans l'Allemagne de la fin du troisième Reich, au début du vingt et unième siècle aux Etats -Unis.
L'originalité de la narration tient au parti pris de l'auteur de raconter l'histoire occidentale de la deuxième partie du vingtième siècle, en remontant l'ordre chronologique, et en la ramenant à hauteur d'enfants de six ans, naïfs, lucides et omniscients, détachés de toute idéologie, interprétant les faits pour ce qu'ils sont.
Il ne s'agit pas d'un roman d'apprentissage individuel, mais plutôt familial, l'apprentissage d'une enfance toujours recommencée, mais en constante évolution, une sorte d'enfantissage d'une histoire familiale.
Le récit est rempli de petites anecdotes, qui prennent leur dimension d'hapax existentiels quelques pages plus loin. Telle dispute puérile pour une poupée entre deux vieilles dames prend tout son sens aux dernières pages du roman. Telle histoire d'amour enfantine prend la dimension d'une tragédie shakespearienne.
On a le sentiment à la lecture de ce roman que chacun est déterminé par sa petite enfance, que les bons et les méchants, ce sont des enfants de six ans heureux et malheureux pour toute leur existence.
L'art d'inventer des vies, de la vie, avec des mots.
dimanche 21 janvier 2007
Protreptique.

"[...], la pratique de la philosophie dépasse donc les oppositions des philosophies particulières. Elle est essentiellement un effort pour prendre conscience de nous-mêmes, de notre être-au-monde, de notre être-avec-autrui, un effort aussi pour "rapprendre à voir le monde", comme disait Merleau-Ponty, pour atteindre aussi à une vision universelle, grâce à laquelle nous pourrons nous mettre à la place des autres et dépasser notre propre partialité.
[...] Le "philosophe" est seul. Comment trouvera-t-il son chemin?
Il le trouvera comme d'autres l'ont trouvé avant lui, comme Montaigne, ou Goethe, ou Nietzsche, qui, eux aussi, ont été seuls, et qui ont choisi comme modèles, selon les circonstances ou leurs besoins profonds, les modes de vie de la philosophie antique."
P Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique.
vendredi 12 janvier 2007
C'est apprendre à vivre.

"[...] la philosophie apparaît comme une thérapeutique des soucis, des angoisses et de la misère humaine, misère provoquée par les conventions et les contraintes sociales, pour les cyniques, par la recherche des faux plaisirs, pour les épicuriens, par la recherche du plaisir et de l'intérêt égoïste, selon les stoïciens, et par les fausses opinions, selon les sceptiques.
[...] le mal n'est pas dans les choses, mais dans les jugements de valeur que les hommes portent sur les choses. [...]
l'homme doit faire un choix radical: changer toute sa manière de penser et d'être. Ce choix, c'est la philosophie, c'est grâce à elle qu'il atteindra la paix intérieur, la tranquilité de l'âme."
P Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique.
mercredi 10 janvier 2007
Contribution au progrés de l'humanité.
lundi 8 janvier 2007
Les yeux ouverts...

"Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d'autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus... Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts..."
Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar.
vendredi 5 janvier 2007
L'agonie n'est plus ce qu'elle était.

"L'avenir du monde ne m'inquiète plus; je ne m'efforce plus de calculer, avec angoisse, la durée plus ou moins longue de la paix romaine, je laisse faire aux dieux. Ce n'est pas que j'ai acquis plus de confiance en leur justice, qui n'est pas la nôtre, ou plus de foi dans la sagesse de l'homme; le contraire est vrai. La vie est atroce, nous savons cela. Mais précisément parce que j'attends peu de chose de la condition humaine, les périodes de bonheur, les progrès partiels, les efforts de recommencement et de continuité me semblent autant de prodiges qui compensent presque l'immense masse des maux, des échecs, de l'incurie et de l'erreur. Les catastrophes et les ruines viendront; le désordre triomphera, mais de temps en temps l'ordre aussi. La paix s'installera de nouveau entre deux périodes de guerre; les mots de liberté, d'humanité, de justice retrouveront çà et là le sens que nous avons tenté de leur donner. Nos livres ne périront pas tous; on réparera nos statues brisées; d'autres coupoles et d'autres frontons naîtront de nos frotons et de nos coupoles; quelques hommes penseront, travailleront et sentiront comme nous: j'ose compter sur ces continuateurs placés à intervalles irréguliers le long des siècles, sur cette intermittente immortalité. Si les barbares s'emparent jamais de l'empire du monde, ils seront forcés d'adopter certaines de nos méthodes; ils finiront par nous ressembler."
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien.
vendredi 22 décembre 2006
Metrum, boulum, dodum.

"Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l'esclavage: on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d'imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses: soit qu'on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu'elles sont asservies, soit qu'on développe chez eux, à l'exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. A cette servitude de l'esprit, ou de l'imagination humaine, je préfére encore notre esclavage de fait."
Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar.
mardi 19 décembre 2006
Hadrien en spoutnik.

"Peu de mois après la grande crise, j'eus la joie de voir se reformer au bord de l'Oronte la file des caravanes; les oasis se repeuplaient de marchands commentant les nouvelles à la lueur de feux de cuisine, rechargeant chaque matin avec leurs denrées, pour le transport en pays inconnu, un certain nombre de pensées, de mots, de coutumes bien à nous, qui peu à peu s'empareraient du globe plus sûrement que des légions en marche."
Marguerite Yourcenar.
samedi 18 novembre 2006
Aux victimes de tout poil.

"Soyez bon soldat, c'est vraiment gagné à coup sûr. Il n'y a pas de plus beau brevet; mauvaise tête mais bon soldat; magnifique! Salaud mais bon soldat: admirable! Il y a aussi le simple soldat: ni bon ni mauvais, enrôlé là-dedans parce qu'il n'est pas contre. [...] Il a été en troupe, en compagnie, en armée, mais maintenant il y est, il est seul. [...] C'est le moment où il vient d'être étripé avec une baïonnette pleine de graisse d'armes, où il voit sortir du trou de son ventre l'accouchement mortel de ses tripes fumantes qui veulent essayer de vivre hors de lui comme un Dieu séparé [...]; à ce moment-là il connaît la vérité. [...]
Il est déjà sur les bords d'où l'on ne revient pas; le jeu s'est joué. Tout le jeu de la guerre se joue sur la faiblesse du guerrier."
Jean GIONO, Recherche de la pureté.
L'escroquerie de la commémoration, c'est le mensonge de leur discours:
"Pour qu'ils ne soient pas morts pour rien."
Les manchots ne décorent pas les survivants: il leur faut leurs deux bras pour décider les guerres, vendre les canons, et accrocher les médailles.
vendredi 20 octobre 2006
Les trois âges du père Noël.

Pour un enfant de deux ans, tous les êtres humains affublés d'un manteau rouge et d'une barbe blanche sont Le père Noël.
Puis au delà de l'apparence se construit le concept du père Noël, et vers l'âge de cinq ans, il n'existe plus qu'un Le père Noël exhilé au fin fond de sa Laponie, Idée platonicienne dont les pères Noël de supermarché ne sont que de pâles représentations.
Enfin vient l'âge du crépuscule de l'Idole, le refus de la croyance en l'existence d'un arrière monde, la PS2 ici et maintenant, et à sept ans, Santa Klaus est rangé dans la malle aux renoncements, à côté de la souris verte, du bon dieu et de son fils.
lundi 9 octobre 2006
Viol d'un des sens.
Les sens de la mise à distance, l'ouïe et la vue, s'opposent aux autres sens en celà qu'ils permettent la perception du monde sans contact direct avec la matière.
Mais ce qui les distingue pourtant de façon radicale l'un de l'autre, c'est la possibilité de les mettre en veilleuse ou non. Pour ne pas voir, il suffit de fermer les yeux, ou de détourner le regard. Il est impossible de se fermer les oreilles, au mieux peut-on, bon an mal an, se les boucher. Quand à détourner l'écoute...
On peut s'en convaincre en subissant une télévision allumée. Si le son est coupé, on peut ne pas s'apercevoir qu'elle est allumée. Par contre, dès que le son surgit, on devient captif des émissions de l'appareil.
Notre président adoré, pour fustiger l'ennemi de l'intérieur, ne mettait-il pas en avant le bruit et l'odeur? Nous ne pouvons rien contre certaines intrusions, se couper le nez et les oreilles n'y changerait rien.
Les religions l'ont bien compris, qui n'ont de cesse pour asseoir leur pouvoir, de rythmer la vie du peuple aux chants du muezzin, ou en tapant la cloche. Inonder l'ouïe, c'est rendre les cerveaux captifs. Analyser le bruit, c'est découvrir les sources de notre aliénation.
Nous sommes anesthésiés par les pollutions sonores, assommés et soumis sans échappatoire. J'ai le souvenir d'une grève des poids lourds, il y a une dizaine d'années, qui avaient bloqués tout le transport routier. En sortant de mon appartement, j'avais eu le sentiment étrange d'habiter une autre planète, avant de réaliser que je redécouvrais le bonheur du silence.
Mais ce qui les distingue pourtant de façon radicale l'un de l'autre, c'est la possibilité de les mettre en veilleuse ou non. Pour ne pas voir, il suffit de fermer les yeux, ou de détourner le regard. Il est impossible de se fermer les oreilles, au mieux peut-on, bon an mal an, se les boucher. Quand à détourner l'écoute...
On peut s'en convaincre en subissant une télévision allumée. Si le son est coupé, on peut ne pas s'apercevoir qu'elle est allumée. Par contre, dès que le son surgit, on devient captif des émissions de l'appareil.
Notre président adoré, pour fustiger l'ennemi de l'intérieur, ne mettait-il pas en avant le bruit et l'odeur? Nous ne pouvons rien contre certaines intrusions, se couper le nez et les oreilles n'y changerait rien.
Les religions l'ont bien compris, qui n'ont de cesse pour asseoir leur pouvoir, de rythmer la vie du peuple aux chants du muezzin, ou en tapant la cloche. Inonder l'ouïe, c'est rendre les cerveaux captifs. Analyser le bruit, c'est découvrir les sources de notre aliénation.
Nous sommes anesthésiés par les pollutions sonores, assommés et soumis sans échappatoire. J'ai le souvenir d'une grève des poids lourds, il y a une dizaine d'années, qui avaient bloqués tout le transport routier. En sortant de mon appartement, j'avais eu le sentiment étrange d'habiter une autre planète, avant de réaliser que je redécouvrais le bonheur du silence.
lundi 2 octobre 2006
Banane ou asperge?

J'ai lu un article relatif au dressage des filles de bonne famille. Ces futures domestiques sont élevées dans un cadre verdoyant, au coeur des montagnes suisses. Leur sont prodiguées toutes sortes de soins, notamment une formation relative à la bienséance lors des repas.
En particulier, comment faut-il s'y prendre pour déguster certains mets délicats? J'ai appris que la banane doit être consommée à l'aide de la fourchette et du couteau, alors que la goutteuse asperge peut être conduite aux lèvres à la main, sans chichi, comme dirait Bernadette.
Mais qu'est ce qui distingue l'asperge de la banane?
Certains répondent la taille. A l'évidence, ce critère ne peut être pris en compte: il existe de petites bananes n'atteignant pas la taille d'une grosse asperge. Or, cette règle inflexible qui interdit la prise en main de la banane ne peut procéder d'un relativisme mou, on l'admettra.
D'autres pensent tenir le bon bout en comparant l'extrémité des deux tiges. Le bout de la banane serait plus suggestif que le bout de l'asperge. J'en doute, c'est même le contraire: homogénéïté absolue d'un côté, rupture dans la couleur et la texture de l'autre côté. Comparez, vous serez convaincus.
La banane est victime d'une injustice. Il devait être loisible à toute bourgeoise honnétement éduquée de porter à la bouche et à la main ce met délicieux, même trempé dans de la chantilly.
dimanche 17 septembre 2006
Blacksad

Une des meilleures BD que je connaisse.
L'idée semblerait banale: traiter l'univers du polar américain des années 50 à travers le prisme animalier d'un Disney. Pourtant, chose incroyable, on y croit. Le réalisme prend le pas sur la fantasmagorie. Le genre éculé jusqu'au filtre du mégot, dont le dernier avatar réussi était pour moi la trilogie d'Ellroy, ressort tel un nouveau né du bain de jouvence dans lequel l'a baigné Guarnido. Il réussit à recycler le cliché: on n'est pas géné de reconnaître au premier coup d'oeuil le bon, la brute et les méchants, l'histoire stéréotypée n'est pas un frein au plaisir de la lecture.
Le chat-marlowe est un vrai dur, pas une guimauve, le garde du corps est un gorille, le policier est un chien, le fouineur est une fouine, le dessinateur un virtuose.
Ce qui rend l'auteur encore plus sympathique, c'est son refus de participer à la marchandisation de sa création: pas d'objets dérivés, alors que la BD a été un énorme succés à sa parution. Bravo l'artiste, pour le coup qu'on en tient un vrai, un pur, pourvu que ça dure.
vendredi 15 septembre 2006
Avertissement aux écoliers et lycéens, Raoul Vaneigem

L'école est le révélateur de la domination d'une conception de la société destructrice pour les rapports humains, la recherche mortifère de la rentabilité au détriment de l'épanouissement par la création. Telle est la thése de l'auteur, et sa démonstration allie l'art des formules qui font mouche à la qualité de la concision. C'est une lecture stimulante, qui n'a rien perdu de son actualité dix ans après sa parution.
"Comment peut-il y avoir connaissance où il y a opression?". Et on remonte aux causes de cette opression, dont les premières victimes sont les élèves condamnés à manger la soupe fadasse, que les plus serviles vomissent en offrande au profévaluateur.
Sans oublier les enseignants eux-mêmes, condamnés à régner par ruse ou par force dans l'anonymat des classes bourrées jusqu'à la gueule.
vendredi 8 septembre 2006
Explosions atomiques, création somatique.

Considérons la vie comme le surgissement improbable d'une paire d'accolades entre deux néants. D'abord, la rencontre impossible de deux gamétes, agents de fusion agrégeant une nuée d'atomes égarés dans l'espace infini, faisant naître au monde une conscience de lui-même, puis d'elle-même.
Remplissons cet espace d'antinéant, gavons nos sens de sens, le plaisir n'est pas une mauvaise herbe à bannir d'un champ des vertus, c'est une fleur fragile à protéger dans son jardin. La lutte de Mars contre Vénus, Eros combattant Thanatos, le mouvement est partout, branloir perenne hésitant entre deux pôles, pesons de toutes nos forces sur un plateau de la balance.
Naufragé, je connais le plaisir d'être au rivage, le bonheur de vivre plutôt que de survivre, l'instant parfait d'une vie sereine.
samedi 2 septembre 2006
Le tribunal à perpétuité

L'homme est un juge pour l'homme. Quitter l'enfance, c'est devenir juge et accusé en permanence. Il est possible de refuser le rôle de juge, il est impossible de quitter celui de suspect.
Jamais d'acquittement au bénéfice du doute, mais des peines sans cesse infligées, non pas en vertu d'une mauvaise action éventuelle, mais plutôt en raison d'un état de vulnérabilité. La sévérité de la condamnation est à la mesure de l'étroitesse d'esprit de celui qui la prononce. Le juge, le président de la république du on, le pigiste à la gazette de l'opinion, c'est ton voisin de palier, ton collégue, ta belle soeur.
Montre leur les dents, ils te relaxeront. Exhibe tes faiblesse, ils te lyncheront.
Tu voudrais être autre chose que ce que les autres pensent de toi, mais tu n'existes que par leur jugement.
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