vendredi 5 janvier 2007

L'agonie n'est plus ce qu'elle était.


"L'avenir du monde ne m'inquiète plus; je ne m'efforce plus de calculer, avec angoisse, la durée plus ou moins longue de la paix romaine, je laisse faire aux dieux. Ce n'est pas que j'ai acquis plus de confiance en leur justice, qui n'est pas la nôtre, ou plus de foi dans la sagesse de l'homme; le contraire est vrai. La vie est atroce, nous savons cela. Mais précisément parce que j'attends peu de chose de la condition humaine, les périodes de bonheur, les progrès partiels, les efforts de recommencement et de continuité me semblent autant de prodiges qui compensent presque l'immense masse des maux, des échecs, de l'incurie et de l'erreur. Les catastrophes et les ruines viendront; le désordre triomphera, mais de temps en temps l'ordre aussi. La paix s'installera de nouveau entre deux périodes de guerre; les mots de liberté, d'humanité, de justice retrouveront çà et là le sens que nous avons tenté de leur donner. Nos livres ne périront pas tous; on réparera nos statues brisées; d'autres coupoles et d'autres frontons naîtront de nos frotons et de nos coupoles; quelques hommes penseront, travailleront et sentiront comme nous: j'ose compter sur ces continuateurs placés à intervalles irréguliers le long des siècles, sur cette intermittente immortalité. Si les barbares s'emparent jamais de l'empire du monde, ils seront forcés d'adopter certaines de nos méthodes; ils finiront par nous ressembler."
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien.

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