samedi 28 juillet 2007

L'éloge de la fuite, Henri Laborit

Ce livre analyse les conséquences sur l'activité humaine que permet la connaissance des déterminismes biologiques de l'espèce. Il traite à la fois de morale individuelle et de choix de société.

La partie de l'ouvrage qui traite des choix politiques est datée. Elle pourra intéresser par son aspect documentaire sur une époque où la ligne de fracture idéologique se situait au niveau de l'affrontement entre capitalisme et communisme. Il est amusant de lire trente ans après des arguments usés jusqu'à la corde sur la perversion des deux systèmes. On a une idée de ce qu'il adviendra dans trente ans des thèses sur le choc des civilisations, et du manichéisme simpliste présentant une lutte entre l'axe du mal et les forces de progrès.

La partie la plus intéressante est celle qui traite de la morale individuelle, et qui est résumée par le titre du livre: à choisir entre l'affrontement et la fuite devant une tension, c'est la deuxième option qu'il convient de favoriser. Mais entre l'affrontement et la soumission passive, l'auteur démontre qu'il vaut mieux se battre.
Pour cela, il soumet un rat à la gégène, et lui offre trois alternatives: la fuite, le combat contre un autre rat, ou la soumission passive à la torture. En mesurant les conséquences des trois actions sur le métabolisme du rat, il met en évidence que c'est la soumission qui déclenche le plus d'effets pervers sur sa santé: hypertension chronique, troubles du métabolisme. Ayant éliminé comme réponse possible à l'agression la soumission passive, il nous engage à opter de préférence pour la fuite plutôt que pour l'affrontement. Pourtant, si les circonstances imposent de se battre, que cela soit selon la devise de Don Quichotte, pour secourir la veuve et l'orphelin. L'engagement dans la lutte sera un moindre mal s'il se fait au côté du plus faible. Ce qui est très intéressant dans ce livre, c'est de définir une morale de l'action à partir des réactions animales de l'homme, de fonder des règles de vie sur une éthologie humaine.

L'autre thèse importante du livre est de nous convaincre que la croyance en notre libre arbitre, c'est notre méconnaissance d'une organisation qui nous détermine. Et c'est sans doute l'aspect le plus dérangeant du livre que de nous convaincre que notre existence est le résultat mécanique de la plongée d'un système nerveux dans un environnement particulier, que notre façon de pensée est déterminée dès notre conception dans une direction que nous ne maitrisons pas. Ce qui conduit l'auteur à concevoir la seule liberté possible pour l'individu du côté de la création, du développement de l'imagination, et à mettre au centre de tout système éducatif ce qui est susceptible de favoriser cette fuite dans l'imagination créative.
Un programme difficile à mettre en oeuvre dans le cadre d'un état, mais tout à fait réalisable dans le cadre de la cellule familiale.

vendredi 27 juillet 2007

Théorie de l'information.



"_Je ne suis pas douée pour parler. Ces derniers temps, c'est toujours comme ça. J'essaie de dire quelque chose, mais les mots qui me viennent à l'esprit sont inexacts. Parfois, je dis même tout le contraire de ce que je veux dire. Si je tente de rectifier, c'est encore pire. Je finis par ne plus savoir où j'en suis et je ne sais plus du tout ce que je voulais dire au départ. C'est comme si mon corps se séparait en deux parties qui joueraient à se poursuivre. Entre les deux se dresse un énorme pilier autour duquel elles tournent sans arrêt pour tenter de se rejoindre. Il y a toujours une autre partie de moi-même qui détient les mots corrects, que je n'arrive jamais à saisir...(Naoko releva la tête et me regarda dans les yeux.) Est-ce que tu comprends?
_On a tous plus ou moins la même impression, tu sais, lui dis-je. On essaie tous de s'exprimer, et on s'irrite de ne pas pouvoir le faire correctement."
Elle semblait légèrement désappointée par ce que je venais de dire.
"Ce n'est pas tout à fait ça, corrigea-t-elle, mais sans me fournir la moindre explication supplémentaire."
La ballade de l'impossible, H Murakami.

vendredi 20 juillet 2007

La fille sans qualité, Julie Zeh.



Julie
Zeh aurait pu intituler son roman "Rage teutonne". En effet, on retrouve l'intrigue d'un des romans les plus noirs de Jim Thompson, "Rage noire".
L'action du roman se déroule en grande partie dans un lycée allemand, et met en scène deux adolescents surdoués et manipulateurs, qui sèment le désordre autour d'eux. Sur fond de théorie des jeux, l'auteur nous interroge sur la nature des relations de pouvoir, sur les moyens et les motifs du désir de domination.
Si ce roman fait pourtant écho au chef d'oeuvre de Robert Musil, c'est moins par le sujet que par le ton du roman qu'il se fait entendre. La profondeur de la réflexion, la subtilité de certaines métaphores et la lucidité sur les rapports humains font de cette lecture un moment enrichissant. Quelques longueurs pourtant révèlent la distance qui sépare la talentueuse Zeh du génial Musil. Les 500 pages de la fille sans qualité n'ont pas la densité des 2000 pages de l'homme sans qualité. C'est ce qui sépare un bain agréable dans une eau tiède d'un plongeon dans les eaux glacées d'un torrent.

vendredi 13 juillet 2007

La course au mouton sauvage, Murakami.



Remplacez Moby Dick par un mouton portant une étoile sur le dos, et vous pourrez avoir une très vague idée de l'intrigue de ce roman à la fois subtil et déjanté.
La quête du héros sans nom de cette histoire est improbable, et pourtant ça fonctionne: on ne décroche pas de la lecture, entre menace d'une organisation mafieuse, idylle avec la plus belle oreille nippone, et questions existentielles (pourquoi les bus n'ont pas de nom?).
J'y ai trouvé une lointaine parenté avec les premiers romans de J. Irving, à savoir cette irruption explosive de la fantaisie dans la quotidienneté d'une existence banale.

samedi 7 juillet 2007

Sur la nature du désir de puissance.



"La paranoïa est au sens littéral du mot une maladie de la puissance. Une étude de cette maladie dans toutes les directions ouvre sur la nature de la puissance des perspectives d'une ampleur et d'une clarté impossibles à obtenir autrement. On ne doit pas se laisser égarer par le fait que, dans un cas comme celui de Schreber, le malade n'est jamais arrivé en vérité à la situation monstrueuse dont le désir le ronge. D'autres y sont arrivés. Certains ont réussi à effacer habilement les traces de leur ascension et à tenir secret leur système parachevé. Le succès ne dépend ici comme partout que des hasards. Leur remaniement sous le couvert d'une illusoire conformité à des lois, c'est ce qu'on appelle l'histoire. A la place de tous les grands noms de l'histoire pourraient en figurer, respectivement des centaines d'autres. Les talents sont aussi répandus dans l'humanité que la méchanceté."
Masse et puissance, Elias Canetti.

dimanche 1 juillet 2007

Aspect nippon du freudisme.



Bien sûr, il n'y avait pas de baleine dans l'aquarium. Une baleine, c'est tellement grand qu'il aurait fallu raser l'ensemble de l'aquarium et lui réserver au même endroit un seul et unique bassin. A défaut de baleine, l'aquarium exposait un pénis de l'espèce. Un ersatz en quelque sorte. [...]
Il m'apparaissait tantôt comme une sorte de petit palmier desséché, tantôt comme un gigantesque épi de maïs. Sans l'écriteau portant la mention "Organe reproducteur du mâle de la baleine", personne n'aurait pu deviner de quoi il s'agissait. C'était, plutôt qu'à l'océan Antarctique et à l'un de ses produits, à quelque vestige déterré dans un désert du centre de l'Asie qu'il faisait penser. Il ne ressemblait ni à mon propre pénis ni à aucun de ceux que j'avais pu voir jusque-là. Comment dire? Il s'en dégageait quelque chose de difficile à exprimer, de triste, qui n'appartient qu'à un pénis coupé.

La course au mouton sauvage, Haruki Murakami.