mardi 26 août 2008

Le chat du rabbin, Joann Sfar.



J'ai dévoré les cinq tomes au même rythme que celui du chat se jetant sur ses proies de prédilection: les oiseaux. En effet, ce chat est ornythophage, ce qui lui permet d'acquérir le don de parler aux humains quand c'est un perroquet ou un mainate qui est au menu. Et ce qu'il dit, le chat, c'est qu'il veut faire sa Bar Mitzva! Stupeur du rabbin, qui consulte son maître talmudique: celui ci est formel, ce n'est pas possible. Qu'à cela ne tienne, le chat tient tête, et en parfait exégète de la bible, finit par imposer son point de vue à l'autorité bornée.
La suite des aventures de ce chat est de ce tonneau: faire exploser les subtiles arguties qui étayent les mauvaises fois, en se servant du logos comme d'une arme, en subvertissant le Verbe par le Verbe.
Vivement le sixième tome, et le septième, et le huitième, ....

vendredi 22 août 2008

Les menteurs, Marc Lambron.



Il s'agit d'une chronique mi-ironique, mi-nostalgique des trois dernières décennies. A travers les confessions de trois quinquagénaires, Claire, Karine et Pierre, on suit le récit rétrospectif à la première personne de leurs rêves d'adolescents khâgneux, puis le réveil plus ou moins brutal de la trentaine, de la quarantaine, et de la cinquantaine.
L'amour, le travail, les ambitions, les apparentes sincérités et les vraies trahisons, tout est analysé sans faux semblants par des acteurs lucides sur ce qui teinte d'une ombre de défaite leurs succès.

Même si l'on n'appartient pas à la génération qu'il décrit, Marc Lambron parvient à faire résonner en nous la corde sensible, malgré les références qui peuvent parfois nous échapper. Quand au style de Lambron, c'est un régal, un virtuose équilibre entre acidité et humour.

jeudi 21 août 2008

La vérité du mensonge.

"Notre sincérité est toujours celle du témoin abusé: il n'y a pas de bonne version, seulement des interprétations. Chacun se trompe de bonne fois. Le mensonge fluctue avec la vie, il lui donne sa respiration face au verdict des miroirs. En cela, il embrasse la vérité comme le silence renvoie au langage; étranger à soi-même en croyant se connaître, chacun vit proche des autres en partageant ce simulacre. Mensonge des reflets, de l'époque, de la mémoire, des romans. Lorsque tous les leurres ont brûlé sur le bûcher des phrases, les cendres avouent ce qui a vraiment été".

Les menteurs, Marc Lambron.

mercredi 20 août 2008

Des livres et des enfants.

"Un certain mépris montant pour les livres, notamment ceux du passé, regardés comme des vieilles lunes, me paraissait en rapport avec l'absence de considération que l'on porte aux enfants. Pourquoi lit-on? Sans doute pour élargir sa vision au-delà de la circonstance, entendre la voix de l'autre, éprouver par le plaisir de la langue sa propre humanité. Ce sont des dispositions que l'on retrouve dans le regard porté sur les enfants. Ils ont aussi fragiles qu'une bibliothèque, aussi riches du temps à venir que les vieux volumes le sont de celui qui fut. A chaque étape de la vie, il nous est loisible de fermer les livres et de blesser nos enfants. Je n'ai jamais jugé les autres à leur ignorance, puisque mon métier était d'enseigner. En revanche, je regardais de plus en plus les enfants comme le livre qu'ils avaient ouvert ou fermé, la bibliothèque de vie qu'il leur avait été donné de construire ou de brûler. Sans doute parce que j'essayais de transmettre l'amour des livres à de jeunes adultes, j'appliquais intérieurement un critère minimal: que fait-on des enfants? On peut considérer ses contemporains, notamment les plus occupés d'eux-mêmes, les glorieux qui cherchent la lumière, ou les moraux qui prétendent la détenir, et regarder au cas par cas, le plus précisément possible, ce qu'il en est de leur progéniture. La preuve par le rayonnement de la descendance, cela existe; aussi vrai que la vérité de certains êtres se manifeste par des enfants détruits."

Les menteurs, Marc Lambron.

lundi 18 août 2008

La marche, E. L. Doctorow.



Ce roman nous entraîne dans le sillage du Général Sherman à la conquête de la Géorgie, de la Caroline du Nord et de la Caroline du Sud lors de la dernière année de la guerre civile américaine. C'est l'occasion de découvrir des personnages qui ont chacun des motifs différents de rejoindre la marche du général nordiste.

Pearl, fruit du viol de sa mère esclave par son maître de père, est le personnage central du roman: à travers elle passent toutes les lignes de fracture à l'origine d'une nouvelle identité, celle de l'esclave émancipé. En cela, elle est le point de cristallisation où vont se concentrer les courants d'un puissant mouvement historique et les aspirations d'un individu à une forme de réalisation personnelle.

Autre personnage complexe, celui du médecin militaire, qui a choisi de suivre Sherman pour étudier sous la forme de travaux pratiques à grande échelle la chirurgie. On sent chez lui que l'humanisme et le cynisme sont arrivés à un point d'équilibre fragile: un blessé, sorte de Phineas Gage, est la clef d'une boîte de Pandore dans laquelle se trouvent enfermées les pires horreurs de la médecine expérimentale nazie.

Il y a encore ce déserteur sudiste, grain de sable qui est là pour nous rappeler que l'Histoire est un train lancé à chaque instant devant des aiguillages, qu'elle est le résultat d'histoires individuelles qui auraient pu l'infléchir dans une direction plutôt qu'une autre.


Doctorow donne vie à une comédie humaine en seulement trois cents pages, parvient à donner du souffle à des dizaines de personnages, parfois en une seule description, réussit à atteindre une dimension épique, sans lyrisme facile, sans héroïsme bidon.
Un grand roman.

La cité interdite, Zhang Yimou.

Sophocle et Eschyle peuvent se rhabiller: incestes, infanticides, fratricides, parricides, lentes agonies par empoisonnements, morts violentes par toutes sortes d'armes blanches, et j'en oublie, voilà les ingrédients de cette tragédie située en Chine au dixième siècle.
On ne s'ennuie jamais pendant ce film haut en couleurs au sens propre comme au sens figuré. Les scènes d'action sont magnifiques, et savamment distillées pour ne pas nuire à la progression dramatique du récit. Gong Li est magnifique dans un rôle de victime et manipulatrice, tandis que Chow Yun-Fat campe magistralement un empereur diabolique, qui ferait passer le Richard III de Shakespeare pour un gentil enfant de cœur.

Les déferlantes, Claudie Gallay



Le monde décrit dans ces sept cents pages, c'est celui d'un village de naufrageurs à proximité de La Hague. La narratrice sans nom, baptisée la Ténébreuse par son copain sculpteur Raphaël, a quitté la Provence pour survivre à un deuil. Elle découvre autour d'elle des existences blessées, semblables à la sienne, faites de cicatrices jamais refermées. Elle se mue alors en enquêtrice, à la recherche des secrets qui se cachent derrière les haines mal dissimulées, les gestes et les regards sourds.
Claudie Gallay a une écriture aussi sensible qu'une pellicule photographique. Elle parvient par petites touches subtiles à créer autour de détails insignifiants des moments d'émotions, qui nous submergent vagues après vagues, jusqu'à nous emporter au large, dans son univers.
Un excellent roman, qui ne fait pas l'économie des personnages, des histoires, des sentiments.

vendredi 8 août 2008

Programme humaniste.

"On peut parler alors d'humanisme, au sens large du terme, lorsqu'une culture comporte les caractéristiques suivantes: effacement relatif de la spéculation métaphysique; intérêt préférentiel pour la psychologie et la politique; curiosité pour la diversité des sociétés, des civilisations, des coutumes en tant qu'expressions également respectables de l'homme; adoption du bonheur comme centre de référence de la morale; contestation de l'homme conçu comme conflit de deux natures, l'une bonne, l'autre mauvaise; tendance à accepter la totalité de la réalité humaine, telle qu'elle nous arrive, et à la ressentir comme en harmonie avec la nature en général, où elle s'inserre sans disparaître; optimisme culturel, c'est à dire confiance dans la science et la technique comme instruments d'amélioration de la vie humaine."

J-François Revel, Histoire de la philosophie occidentale.

samedi 2 août 2008

Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme, Cormac McCarthy.



Un règlement de compte en plein désert, avec pour résultat trois cadavres et un agonisant.
Un chasseur, Moss, qui s'approche par hasard et se joint au festin des mouches, plus appâté par une mallette contenant deux millions de dollars que par l'odeur de la charogne.
Et le chasseur devient alors gibier, traqué entre autres par un cartel mexicain de la drogue, un tueur psychopathe qui semble agir pour son propre compte, et un shérif nostalgique du bon vieux temps.

McCarthy sait captiver son lecteur: on pense par moments à Ellroy pour son talent à nous prendre à la gorge, à nous imposer son rythme d'enfer. La situation de départ est usée: le bon gars poursuivi par une meute de tueurs. Mais l'écriture nerveuse, le laconisme des descriptions, le contraste entre l'horreur de certaines scènes et la poésie humaniste de certains passages, la précision des dialogues, tout cela concourt à une lecture rafraîchissante.