lundi 18 juin 2007

Brelan perdant.



Comment ne pas faire d'information avec de l'information, ou comment ne pas construire de sens à l'aide de faits convergents?
Il existe des défaites qui sont des victoires: Carignon, Mellick et Juppé au tapis. Le crachat envoyé à la figure des électeurs leur est revenu en pleine face: il semble que le vent ait tourné. La fin de règne de Chirac confirme ce retour d'une relative probité au sein de la classe politique.
Il faudrait pourtant être naïf en concluant que l'honnêteté serait une valeur en hausse chez les politiciens professionnels. Mais du moins est-il intéressant de souligner que la démocratie réclame enfin une apparence de rigueur morale sans laquelle les limites infranchissables n'existent plus.
Ce sont à de tels événements qu'il est possible de mesurer les progrès de la démocratie, suffisamment lents pour que ces petits coups d'accélérateurs soient soulignés.

samedi 16 juin 2007

La guerre des chocolats, Robert Cormier.



220 pages lues en moins d'une journée.
L'écriture est sèche et nerveuse, comme un crochet au foie qui vous coupe le souffle à la fin du livre. Le théme central du roman est la question de la soumission à l'autorité. Dans un monde où tout le monde dit oui, par facilité, par conformisme, Jerry, le personnage central du roman, décide de dire non. Le mouton noir devient alors une proie vite repérable au milieu du troupeau. Frère Léon, le chef auquel Jerry a refusé de se soumettre, va lancer toute sa meute de louveteaux enragés pour que tout rentre dans l'ordre. S'engage alors une lutte désespérée entre un adolescent paumé, dépassé par la tournure que prennent les événements, et Archie, le disciple le plus doué de Frère Léon en manipulation d'opinion et pouvoir d'intimidation.
La littérature américaine dans ce qu'elle a de meilleur: la simplicité apparente de la forme au service d'une réflexion sans concession.

lundi 11 juin 2007

Un dimanche après midi devant la télévision.



Giesbert invitant Le Clézio, le contraste était saisissant: la vulgarité et l'élégance incarnées.
Dès que Le Clézio pouvait prendre la parole que distribuait avec parcimonie le moi-je autosatisfait, ses propos atteignaient une profondeur que le journaliste tentait de combler à pleins seaux de poncifs et de lieux communs.
Pourtant, au delà des paroles échangées, la distance était mesurable à quelques détails scéniques. Il suffisait de couper le son du téléviseur à chaque fois que le bavard monopolisait la parole, ce qui laissait beaucoup de temps à la contemplation des seules images.
La caméra, en s'attardant avec complaisance sur le visage lifté et cosmétisé du journaliste, accentuait le relief du visage creusé de rides de Le Clézio , à la manière d'un négatif photographique, simple ébauche à peine reconnaissable d'un projet abouti. La marionnette habituée au guignol médiatique donnait son spectacle. On craignait pour le malheureux Giesbert une fonte du maquillage posé à la truelle, qui eût accompagné son naufrage intellectuel. Mais le fond de teint n'a pas coulé, lui.
On pouvait également s'intéresser à ce qu'ils portaient aux pieds: Le Clézio avait chaussé des sandales sur des chaussettes hors de saison, optant pour le confort plutôt que pour le conformisme. Giesbert, habitué à tous les cirages de pompes, portait de jolis souliers vernis: la brillance à hauteur de ver de terre.
Mais finalement, le plus évident, c'était cette gesticulation permanente de la marionnette, obnubilée par la volonté d'occuper l'espace physique, à laquelle répondait ce corps immobile, habité par une âme.

vendredi 8 juin 2007

La partie immergée de nos émotions.



"Encore un autre grand changement du monde intérieur d'André Bolkonsky: mortellement blessé à la bataille de Borodino, couché sur la table d'opération d'un camp militaire, il est subitement rempli d'un étrange sentiment de paix et de réconciliation, d'un sentiment de bonheur qui ne le quittera plus; cet état de bonheur est d'autant plus étrange (et d'autant plus beau) que la scène est d'une extraordinaire cruauté, pleine de détails affreusement précis sur la chirurgie à une époque qui ne connaissait pas l'anesthésie; et ce qui est plus étrange dans cet état étrange: il fut provoqué par un souvenir inattendu et illogique: quand l'infirmier lui ôta ses vêtements "André se rappela des jours lointains de sa première enfance". Et quelques phrases plus loin: "Après toutes ces souffrances, André éprouva un bien-être qu'il ne connaissait plus depuis longtemps. Les meilleurs instants de sa vie, sa première enfance notamment, quand on le déshabillait, qu'on le couchait dans son petit lit, que sa nourrice lui chantait des berceuses, que, la tête enfouie dans son oreiller, il est heureux de se sentir vivre, - ces instants se présentaient dans son imagination non pas comme le passé, mais comme la réalité." C'est seulement plus tard qu'André aperçut, sur une table voisine, son rival, le séducteur de Natacha, Anatole, à qui un médecin était en train de couper une jambe.
La lecture courante de cette scène: "André, blessé, voit son rival avec une jambe amputée; ce spectacle le remplit d'une immense pitié pour lui et pour l'homme en général." Mais Tolstoï savait que ces révélations subites ne sont pas dues à des causes si évidentes et si logiques. Ce fut une curieuse image fugitive (le souvenir de sa petite enfance quand on le déshabillait de la même façon que l'infirmier) qui déclencha tout, sa nouvelle métamorphose, sa nouvelle vision des choses. Quelques secondes après, ce miraculeux détail fut certainement oublié par André lui-même ainsi qu'il est probablement immédiatement oublié par la plupart des lecteurs qui lisent des romans aussi inattentivement et mal qu'ils "lisent" leur propre vie."
Milan Kundera, Les testaments trahis.

mercredi 6 juin 2007

Heureux qui comme Félix.



"Heureux celui qui ne demande pas plus à la vie qu'elle ne lui offre spontanément, et qui suit l'exemple donné par l'instinct des chats, qui recherchent le soleil quand il fait soleil et, en son absence, la chaleur, où qu'elle se trouve. Heureux celui qui renonce à sa personnalité pour son imagination, et qui fait ses délices du spectacle de la vie des autres, en vivant, non pas toutes les impressions, mais la représentation, tout extérieure, des impressions des autres. Heureux, enfin, celui qui renonce à tout, et auquel, puisqu'il a renoncé à tout, on ne peut plus rien enlever ni retrancher."
Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquilité.