mardi 15 août 2006

Recyclage


J'allais me coucher, mais soudain retentit la sonnerie du téléphone. Je décroche, et une voix synthétique me glace:
"Veuillez écouter ce message jusqu'à sa fin pour ne plus être rappelé".
Je sens des gouttes de sueur naître sur mon front, comment s'y sont-ils pris pour me retrouver, pour faire sauter ma couverture?
Soulagement, c'est le don du sang qui réclame sa dîme pour demain au centre d'Armentières. Une coupe de sang en échange d'un coup de fil, mon sens civique me commande d'accepter le marché. Je suis plutôt d'un naturel avaricieux , excepté de mon corps: c'est décidé, je vais suivre les injonctions de ma bonne conscience.

Coucher, rêves, réveil, lever, petit déjeuner, chiottes, rasage, douche, séchage, brossage des dents, habillage, fin du programme.
Je sors de la maison, en direction du centre ville. Je vois au loin le grand camion blanc garé devant la mairie. Je m'approche, je monte les trois marches jusqu'à la porte. Je veux l'ouvrir, mais elle est fermée. Je tambourine à la porte, et après un long temps d'attente, une mousmée, clope au bec, bigoudis sur la tête, pas du tout l'allure de l'infirmière folle de mon corps dont j'avais révé la nuit précédente, m'ouvre la porte:
"-Qu'est-ce-qui veut, l'facteur?
_Je viens pour donner mon sang.
_Te fous pas d'ma gueule, on vent des gauffres, et c'est pas encore l'heure."
J'avais oublié que c'était la ducasse à Armentières, et je bredouille quelques mots d'excuses quand je réalise ma confusion entre la baraque à gauffres et la baraque à sang stationnée un peu plus loin.

Cette fois, pas de doute, je suis au bon endroit. L'accueil y est moins glacial, je devine que l'infirmière porte plus volontier des jarretières que des bigoudis. Elle me fait remplir de la paperasse, puis m'envoie chez le médecin.
Celui-ci, après m'avoir interrogé en large et en profondeur sur mes antécédents médicaux et sur ma vie sexuelle, me demande si j'ai moi-même des questions à lui poser. Comme je sens qu'il serait déplacé de le questionner à mon tour sur ses orientations sexuelles, je lui demande l'objet de l'autorisation que j'ai signé pour utiliser mon don de sang à une autre fin que thérapeutique.
Avec la même bonhomie honnête qui caractérise un politicien véreux ne voulant pas répondre à une question au sujet du financement de sa villa sur la côte, il m'explique que ce formulaire s'inscrit dans le cadre d'une harmonisation de la politique européenne de la santé. Cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille.

Je sors de la cabine, je m'installe sur un fauteuil, et me fait introduire une veine par une reine de la piquouze. Je suis soudain alerté sur ma gauche par une petite dame au teint cendreux, qui entame une syncope. J'alerte l'infirmière, qui appelle sa collégue, qui court chercher le médecin, qui n'aurait jamais du autoriser la saignée devant la mine de crayon vomi de la syncopée. Il tente de se racheter en soulevant ses jambes au dessus de la tête, mais celle-ci confondant le secours avec une séance d'abdo, se contracte, ce qui a pour effet d'accentuer le malaise et l'affolement chez le personnel soignant.
J'interviens alors:
"Détendez-vous, relâchez vous, l'infirmière va oter votre poche", ce qui a pour effet immédiat de calmer la situation.

Je finis de remplir ma poche de sang dans la sérénité. Après la collation d'usage, et un exposé très intéressant de la part d'un codonateur sur les qualités gastronomiques respectives des différents centres de collecte de la métropole lilloise, je sors du camion, et retrouve la liberté avec le sentiment du devoir accompli.

Les rues commerçantes du centre ville s'offrent à ma flânerie, j'entends le carillon du beffroi tintinabuler dans le léger frimat du matin. Mon odorat est soudain flaté par l'odeur tentatrice de poulet à la broche s'échappant de la rotissoire du traiteur. Je m'approche conquis, l'appétit aiguisé , et c'est la stupeur. Je comprends maintenant l'objet du papier que le médecin m'a fait signer. En lettres écarlates au milieu des saucisses et autres andouilettes, une invite à la dégustation d'une nouveauté gastronomique:
"Boudin humain, 13€50 le kilo"

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