mercredi 26 juillet 2006

Milton dans ma salade de fruit



Je goutais d'une salade de fruits, et je percevais un mélange diffus entre plaisir et souffrance. Les pêches, bananes et autres melons jouaient sur mes papilles leur mélodie entre douceur sucrée et acidité, tandis que mes aphtes jouaient les pyrhomanes.
Je tentais d'analyser ce qui m'était d'abord apparu comme un mélange vague et simultané de sensations, et je découvris que le plaisir attendu précédait de quelques instants la douleur redoutée. C'est alors que se posa à moi cette question essentielle: fallait-il aller jusqu'au bout du bol, ou jeter discrétement sur le gazon la cause de tant d'extases et d'ek-stases.

Je fus alors victime d'une hallucination: Milton Friedman, puis l'école de Chicago dans son ensemble, et finalement tous les théoriciens du choix rationnel apparurent devant mes yeux, et me commandèrent de mesurer le plus finement possible les deux sensations antagonistes en enfournant ce qui constituait potentiellement la bouchée ultime. J'obéis alors à ce qui m'apparut comme un ordre. L'éclair lancinant succéda une nouvelle fois à la douce sensation du sucre dans ma bouche. Et ce fut le plaisir qui l'emporta très légérement sur la douleur, suffisamment pour m'inciter à boire jusqu'à la dernière goutte le sirop qu'avait laissé au fond du bol les quartiers de fruits juteux.
C'est alors que me vint en tête cette idée terrible: je n'étais qu'un robot, un jouet au main d'un calculateur omniscient réduisant à zéro ma liberté d'action. Tout dans ce qui constituait le résultat d'une volonté de puissance de ma conscience d'interagir sur le monde objectif, d'aliéner le monde extérieur à ma subjectivité, n'étaient pourtant que le résultat d'une programmation subtile à l'aide de paramètres dont je ne maitrisais aucun des degrés de liberté.

Et de ce jour, je pris la décision définitive et irrévocable de ne plus manger de salade de fruits lors d'un épisode aphteux.

Aucun commentaire: