mercredi 18 novembre 2009

Slumberland, Paul Beatty.

Slumberland s’inscrit dans l’héritage du voyage de Gulliver, ou des lettres persanes. C’est une étude humoristique des mœurs et coutumes de nos voisins teutons.

Le héros du roman, Ferguson, est un DJ noir américain. Il a créé un beat d’anthologie, et veut retrouver un musicien génial, seul capable de l’interpréter, le Schwa. Sa quête le mène alors dans le Berlin de la fin des années 80. C’est le prétexte du roman, l’intrigue qui va servir de liant à cette longue méditation sur la musique, le sexe, la race, et toutes sortes de sujets propices à choquer le bourgeois. Le roman va alterner les monologues intérieurs du narrateur, et ses conversations avec les représentants d’une faune berlinoise très bigarrée.

J’ai retenu de cette lecture un thème qui traverse le roman de bout en bout : la mauvaise conscience, les non dits qui hantent les relations entre enfants de bourreaux et enfants de victimes. C’est dans ce but que l’auteur immerge un descendant d’esclave en Allemagne. Qu’est ce qui change si on remplace le juif par le noir, ou l’Alabama des années 50 par l’Allemagne post hitlérienne ? Rien. Beatty s’ingénie à rendre compte d’un malaise qui ne passe pas, à traquer derrière les faits les plus banals les traces d’un passé toujours vivant:
« Parfois, dans le métro, je me tiens dans mon coin, à l’écart, je contemple les banlieusards, les punks bardés de piercings et les étudiants, tous assis droit comme des i sur leurs sièges, les coudes ramenés sur le côté, et c’est alors que remontent mes préjugés et mes craintes génocidaires. Je songe qu’un jour une sonnerie retentira, ces gens se lèveront tous comme un seul homme en un claquement de talons, poussant un belliqueux « Jawohl ! », et m’ordonneront de monter dans le prochain train. Je sais qu’une telle sonnerie peut retentir dans n’importe quel pays, à n’importe quel moment. Et que certains se lèveront en toute bonne foi, que d’autres se lèveront par peur, et que quelques-uns sortiront grandis de cette épreuve en n’obéissant pas, ils hébergeront leurs semblables, distribueront des tracts, mourront en tentant quelque chose. Mais quand même. »
Bien sûr, personne n’est responsable des actes de ses parents, et cependant il reste une tâche indélébile. Le commun des rencontres humaines se nourrit de catégorisations débiles, qui se constituent à notre insu, qui nous contraignent à nous comporter comme héritier d’un crime sans date de prescription.

Le ton ironique du roman, la complaisance sans risque d’un voyeurisme distant fait souvent penser à Houellebecq. Je l’ai lu avec le même plaisir masochiste teinté de nausée. Mais heureusement, il y a cette place de choix faite à la musique, qui permet de disperser les relents schopenhaueriens d’un parti antihumaniste. Et un autre adjuvant à cette pilule amère, c’est le style : un style vivant et percutant, inventif, poétique, qui rend la prose de Beatty si musicale :
« Tout corps funky de l’univers exerce sur tout autre corps hip-aï-di-ho une force d’attraction soulsonique ayant pour axe la ligne de basse et directement proportionnelle au produit de la masse de leurs culs à la ramasse et inversement proportionnelle au carré taré de la séparation raciale entre les deux objets.
F=G*m1*m2/r2
où : F est le funk, G la constante groove, m1 la masse du premier cul à la ramasse, m2 la masse du second cul à la ramasse, et r la grande division raciale. »
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