vendredi 4 août 2006

L'homme sans qualité, première partie, Robert Musil




Le héros du livre, Ulrich, est chargé par son altesse, prince de cacanie (l'empire austro-hongrois d'avant la première guerre mondiale) d'établir un inventaire des grandes pensées universelles pour la gloire de son souverain, dans le cadre de l'action parallèle (il faut contrer une cérémonie concurrente menée en Prusse).
C'est le point de départ d'un jeu de massacre, ou tout et son contraire est démontré puis réfuté.

Au fil des pages, j'ai retrouvé des sentiments que j'éprouvais enfant.
Par exemple, à tenter en vain de suivre les conversations des grands, ce mélange de perplexité devant des batailles conceptuelles qui me dépassaient, et cette admiration face à des constructions dialectiques qui se sont au fil du temps effondrées, à mesure que ma raison s'aiguisait, et que je me rendais compte de la futilité de ces conversations d'adultes.

Ou encore, dans l'opposition que Musil invente entre sens des réalités et sens du possible, il est possible d'y percevoir se qui distingue les raisonnements enfantins des idées d'adultes:
"l'homme doué de l'ordinaire sens des réalités ressemble à un poisson qui cherche à happer l'hameçon et ne voit pas la ligne, alors que l'homme doué de ce sens des réalités que l'on peut aussi nommer sens des possibilités traîne une ligne dans l'eau sans du tout savoir s'il y a une amorce au bout."
A l'intérieur du bocal que l'on se construit en quittant le monde de l'enfance, à l'abri du verre épais derrière lequel on se barricade en croyant devenir plus sensé, il suffit d'observer un enfant jouer, s'inventer un monde aux mille et une possibilités, pour connaître le regret de ce qu'on a perdu.

Enfin, de ce roman construit d'essais, émane une manière de poésie, à force de se faire côtoyer, parfois dans le même paragraphe, sinon la même phrase, les idées les plus contradictoires, et de cette juxtapositions naît une alchimie poétique, on s'envole petit à petit vers les profondeurs, et un nuage rigoureusement vague, nous transporte dans un autre univers.

Ce roman est le plus stimulant intellectuellement que j'aie lu depuis longtemps.Cerise sur le gâteau: il y a une deuxième partie.

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