mercredi 22 décembre 2010

HHhH, Laurent Binet.

On aurait pu croire que ce livre raconte l’assassinat d’Heydrich par des résistants praguois. Mais une fois la lecture achevée, il s’agirait plutôt de l’assassinat d’Heydrich par Gabcik, Kubis, Valcik, la famille Moravec, Libena Fafek, les Novak, Svatos, Kelenka, et tous les autres. Le projet du livre est clairement annoncé dès le titre, par l’acronymique HHhH : ressusciter la petite histoire, celle avec un petit h, celle des vies effacées, noyées dans l’océan de la grande Histoire : « […] je tremble de culpabilité en songeant aux centaines, aux milliers de ceux que j’ai laissés mourir anonymes, mais je veux penser que les gens existent même si on n’en parle pas. ».

Ainsi, Laurent Binet va user de tous les moyens possibles pour sauver de l’oubli ces héros anonymes. A chaque fois qu’il lui prendrait la tentation, par soucis de faire « vrai », de trousser un dialogue, d’imaginer un décor, une situation, il sape l’invention romanesque pour toujours revenir au factuel. Morts une première fois à cause d’une trahison, c’est la mémoire de ses héros qu’il se refuse à trahir une seconde fois, en les transformant en personnages de fiction.

Une autre trouvaille de l’auteur est la manière dont il se met en scène en train d’écrire le livre. Ses visites et ses impressions sur la Prague actuelle, ses discussions avec ses amis à propos de l’avancement de son livre, ses découragements face à la difficulté de la tâche, tout cela contribue à renforcer par un puissant effet de réel le propos principal. En se projetant lui-même au cœur de l’histoire, il y ajoute un supplément d’incarnation qui déteint à chaque page du livre.

Mais malgré sa forme originale, le pacte est entièrement rempli avec le lecteur. J’ai appris énormément de choses, bien sûr sur l’attentat lui-même, mais aussi sur l’histoire de la Tchécoslovaquie, ou sur la shoah par balles et les einsatzgruppen.
On a du mal à catégoriser ce livre (ce n’est certainement pas un roman comme annoncé sur la couverture), mais on peut le ranger sans aucun doute dans le rayon des réussites de la dernière rentrée littéraire.

3 commentaires:

sentinelle a dit…

Ce roman me tentait depuis sa sortie. Ton billet m'incite à sauter le pas ;-)

Anonyme a dit…

Bonjour, si vous avez aimé le roman de Laurent Binet: sachez que Laurent Binet rencontrera ses lecteurs le samedi 22 janvier 2011 à 16h à la Bibliothèque multimédia de Saint-Germain-en-Laye (78, RER A). Faites passer le message!
plus d'informations sur http://bibliotheque.saintgermainenlaye.fr

Le Chaland qui passe a dit…

Effectivement une belle réussite, même si Binet frôle parfois le cabotinisme dans sa manière de décrire l'écrivain qui ne veut rien inventer mais qui tout de même parfois...
Cela dit, on se demande pourquoi l'éditeur s'est cru obligé de noter "Roman" sur la couverture. Pour trompter le lecteur ? Ou pour nous signaler que Binet nous trompe en prétendant n'écrire que sur ce qui est clairement documenté ?
Moi j'aurais écrit "Monument aux morts", parce qu'en fait, quelle que soit la part de fiction de ce texte, c'est bien ça, HHhH.