mercredi 12 mai 2010

Franz Kafka, élèments pour une théorie de la création littéraire. Bernard Lahire.

Bernard Lahire se propose dans cet ouvrage d'utiliser la sociologie pour sonder les mystères de la création littéraire. Kafka et son œuvre vont ainsi lui permettre de confronter la sociologie à d'autres disciplines, l'histoire, la critique littéraire, ou encore la psychologie, et de mettre en évidence la fécondité d'une telle entreprise.

La première partie du livre est consacrée à une défense pro domo de la pertinence de son travail. Cette centaine de pages est rendue nécessaire par le décloisonnement que propose Lahire entre différentes disciplines. S'exposant sur une ligne de crête, l'auteur anticipe les attaques, et répond par avance aux contradicteurs qui lui reprocheraient de mêler la sociologie à d'autres disciplines. Pour être clair, c'est la partie la moins intéressante du livre, cela s'apparente aux grandes querelles dogmatiques autour du sexe des anges, et n'intéressera que les scolastiques contemporains.

Ensuite, Lahire entre au cœur de son sujet, et il devient passionnant. Il commence par utiliser un moyen cinématographique pour décrire la fabrique d'un Kafka: il va partir de la description de la Prague des années 1880 pour peu à peu resserrer la focale, et en arriver à la description de son milieu familial.
Lahire va ainsi inscrire Kafka dans un contexte qui va nous aider à mieux comprendre pourquoi Kafka traite de ces thèmes si originaux, avec un style si particulier. Les réponses formelles, les sujets abordés par Kafka sont directement liés à une existence particulière dans un milieu particulier.


L'œuvre de Kafka, et plus largement de tout écrivain, est inséparable de son auteur et du milieu dans lequel il vit. C'est un contresens sur l'interprétation du Contre Sainte-Beuve que de vouloir extraire l'homme de l'œuvre. Proust combattait le jugement moral que certains critiques portaient sur les livres à partir de la moralité de leur auteur. Et en cela, on ne peut être que d'accord avec Proust. Ainsi, ceux qui refusent de lire "Voyage au bout de la nuit", au motif que Céline fut un salaud, se trompent. La puissance du roman transcende le sens moral de son auteur. Cependant, c'est déformer la pensée de Proust que de prétendre qu'on peut comprendre une œuvre indépendamment de ses conditions de gestation.

Lahire fait partie d'un courant, je pense par exemple à Onfray, qui réhabilite la biographie des auteurs pour mieux comprendre leur œuvre. Un texte, c'est une main pour l'écrire, un cerveau pour le faire naître, un espace et un temps pour l'accueillir. Les motifs de création artistique n'appartiennent pas à un monde idéalisé, abstrait, sacralisé. Il est nécessaire de redonner dimension humaine aux "grands hommes", quelle que soit la hauteur du piédestal sur lequel on le place, sauf à croire en une grâce divine touchant les génies.

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