mardi 20 avril 2010

Extrêmement fort et incroyablement près, Jonathan Safran Foer

J’ai longtemps remis la lecture de ce roman. Sans doute un peu la crainte d’être déçu, après la lecture de « Tout est illuminé », le premier roman de Jonathan Safran Foer. Je me suis décidé lors d’une flânerie en bibliothèque : je ne l’ai pas regretté. Foer se maintient au sommet avec ce deuxième chef d’œuvre.

Il s’agit encore d’un roman polyphonique. La voix principale, c’est celle d’Oskar, enfant de dix ans dont le père est mort dans les attentats du 11 septembre. Découvrant une clé alors qu’il fouine dans les affaires de son père, il se met en tête de découvrir quelle serrure cette clef ouvre. C’est ce qui motivera sa promenade, au hasard de sa quête, dans un New-York à hauteur d’enfant, encore fumant des cendres du World Trade Center. Son récit à la première personne s’interrompt à plusieurs reprises par de longues parenthèses, qui donnent la parole à d’autres personnages du roman. Son grand père, sous la forme de longues lettres adressées au père d’Oskar, sa grand mère sous la forme de lettres directement adressées à Oskar.

L’intrigue n’est pas une préoccupation de l’auteur. Il a choisi d’autres armes que le suspens pour nous captiver, pour nous séduire, pour nous envoûter. Le premier mot qui me vient à l’esprit pour caractériser le ton de ce roman, c’est, malgré parfois les horreurs décrites, la légèreté ; pas de celle qui s’envole sans laisser d’empreinte. Il y a de la profondeur, du lourd, du très lourd pour lester cette apparence d’apesanteur. Foer excelle dans sa façon d’évoquer des sentiments profonds sur un mode mineur. Il manie l’humour sans méchanceté, sur fond de métaphysique, il fait naître le spirituel avec spiritualité. Il est question principalement de mort et de chagrin, et donc de vie et de joie, à chaque page, à chaque ligne. Tout est tissé, tout se tient, avec simplicité, avec évidence.

Une des grandes forces du roman, c’est aussi la façon dont l’auteur réussit à catalyser les mêmes émotions à propos des bombardements d’Hiroshima et de Dresde, ou des attentats contre les tours de Manhattan : à chaque fois les mêmes questions sans réponse, les mêmes souffrances, une façon de montrer qu’il n’existe pas de bonnes et de mauvaises victimes.

J’ai également été séduit par le travail de l’auteur sur la forme, cette façon de dynamiter le genre corseté du roman, en introduisant des images, des photos, de la couleur, des trouvailles calligraphiques, sans que jamais cela ne parasite la lecture. Ces soudaines ruptures dans le déroulement classique de l’histoire sont toujours au service de la narration, amplifiant le pouvoir évocateur des mots. Tout fait sens, une unité profonde lie ces changements de registre, tout se répond comme dans une chambre d’écho.

Le plus difficile pour l’auteur d’un premier roman réussi est de confirmer son talent. On peut dire que Foer s’en tire de manière magistrale. Une chose est sûre : je n’attendrai pas aussi longtemps pour lire son prochain roman.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je pense que c'est un des roman qui m'a le plus prit aux tripes. Plus j'avançais et plus j'avais envie de protéger Oskar mais ce chemin est initiatique et lui permettra de faire le deuil de son père. Je pense que c'est de loin le roman le plus touchant sur le deuil que j'ai lu avec Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi de Mathias Malzieu. Pour ceux qui ont aimé Tout est illuminé, ils ne pourront qu'adorer extrêmement fort et incroyablement près. Le chef d'œuvre le plus bordélique et le plus magique de ma bibliothèque.

Arnivi a dit…

Bonjour Dicky.
Chef d'œuvre bordélique et magique, j'adhère sans réserve à ces épithètes.