vendredi 19 février 2010

La blessure et la soif, Laurence Plazenet.


La première partie du roman décrit la naissance d’une liaison entre Mme de Clermont, épouse qui n’a pour son mari « que la dilection que Dieu recommande », et M de la Tour, jeune soldat dégoûté de la guerre, neveu du mari. On suit chronologiquement, presque sous la forme d’un compte rendu journalistique, l’éclosion puis l’épanouissement de cette histoire d’amour, fleur abandonnée au milieu du champ de ruine qu’est devenue la France. En effet, cette passion coupable se développe pendant la période de La Fronde, avec tout le cortège d’horreurs engendrées par la guerre.
M de la Tour va ensuite s’exiler en Chine, après qu’il ait assisté au viol de sa maîtresse par M de Clermont. On découvre alors le troisième personnage du roman, Lu Wei. Lui aussi a vécu une passion tragique, au sein d’une société en guerre. De la rencontre de ces deux destins parallèles va naître une amitié. Nous allons découvrir que ces deux hommes ont vécu la même expérience, malgré tout ce qui les sépare.

Le bandeau de couverture, « De Pékin à Port-Royal », promettait une aventure hors des sentiers battus, un voyage inédit, presque impossible, entre la France et la Chine du 17ème siècle. Le dépaysement est certes au rendez-vous. Mais curieusement, il paraît anecdotique tant les points de convergence se multiplient entre ces deux histoires entremêlées. Les deux héros malheureux, pourtant culturellement si éloignés, vont trouver la même réponse à leur malheur, dans une quête mystique passant par la voie de l’ascétisme :
« Les mois se succèdent. Deux hommes hors du monde n’arrêtent pas les saisons. La neige a fondu. L’équinoxe du printemps a passé. Le printemps, à son tour, s’achève. Les paupières des deux suppliants sont closes. Au-dedans de cette barrière, défilent, purs filaments de couleur, tantôt pourpres, tantôt noirs comme l’âtre d’un four ou ivoire comme les boucles aux oreilles des femmes, des vestiges des mondes où ils ont vécu. »

De la même manière, on ne peut s’empêcher de tisser des liens cette fois diachroniques entre le 17ème siècle et l’époque contemporaine. Le roman invite à s’interroger sur la soit disant spécificité de la barbarie dans les sociétés modernes : famines organisées, massacres, viols, tortures, ces fléaux sont de tout temps, de toute époque. On est convaincus à la lecture de certaines pages du livre que ce qui unit l’humanité au-delà des distances géographiques ou temporelle est plus fort que ce qui la divise.

Quant à l’écriture, elle nous tient en haleine de pages en pages. Avec virtuosité, l’auteur alterne des paragraphes d’une écriture sèche, à l’os, avec des moments de lyrisme absolu, lorsqu’elle laisse la parole à ses personnages. La langue baroque de ses héros alterne avec les comptes rendus distanciés. On retrouve l’ambiance des tableaux des maîtres hollandais de cette époque, l’utilisation du clair obscur pour attirer l’attention du spectateur sur de menus détails, qui donnent tout leur sens à la scène décrite.

Ce qui m’a le plus enchanté dans ce roman, c’est moins la rencontre de personnages attachants, ou d’une époque ancienne, que la fréquentation d’une langue magnifique, d’un style flamboyant. Laurence Plazenet a réussi à écrire à la fois un roman historique et une œuvre littéraire. C’est du Troyat revisité par Cohen. Admirable.

Aucun commentaire: