lundi 31 juillet 2006

pensum


Ce matin en me levant, j'étais heureux: j'avais eu pendant la nuit une pensée originale, une pensée que personne n'avait eu avant moi. Il y a quelque chose de grisant à penser quelque chose que personne n'a pensé avant soi, du même ordre que cet élan de l'âme qui étreint un explorateur découvrant un paysage jamais contemplé avant lui par aucun oeuil humain.
Mais peu après, cette allégresse a laissé place à une angoisse diffuse, j'ai senti une vilaine petite pensée mesquine géner le confort douillet dans lequel la joie de ma pensée originale m'avait plongé: pouvais-je être certain de la singularité de cette pensée nocturne qui avait illuminé mon réveil?
La seule chose dont je pouvais être assuré, c'était que cette pensée singulière ne m'avait pas été transmise par une source extérieure, je l'avais créée de mes propres neurones, à la force de mes synapses. Mais à considérer les milliards d'êtres humains susceptibles d'élaborer des milliards d'idées par seconde, je fus bientôt convaincu que la probabilité que cette pensée originale qui faisait ma fierté quelques instants auparavant ait été pensée par un autre être humain en un autre lieu, à une autre époque, était finalement plus près de celle de l'événement certain que de l'événement impossible.
Je me résolus avec résignation à laisser s'échapper cette pensée de mon esprit, libérant la case dans laquelle je l'avais tenue prisonière, et me laissais pénétrer par les pensées des autres, jusqu'à me perdre, m'oublier, m'endormir.

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