mercredi 30 juin 2010

Opinions et chapeaux.

Quoique Oblonsky ne s’intéressât guère ni à la science, ni aux arts, ni à la politique, il ne s’en tenait pas moins très fermement aux opinions de son journal sur toutes ces questions, et ne changeait de manière de voir que lorsque la majorité du public en changeait. Pour mieux dire, ses opinions le quittaient d’elles-mêmes après lui être venues sans qu’il prît la peine de les choisir ; il les adoptait comme les formes de ses chapeaux et de ses redingotes, parce que tout le monde les portait, et, vivant dans une société où une certaine activité intellectuelle devient obligatoire avec l’âge, les opinions lui étaient aussi nécessaires que les chapeaux.

Anna Karénine, Léon Tolstoï.

samedi 26 juin 2010

La douceur des forts.

Il faut avoir vu l’homme politique qui passe pour le plus entier, le plus intransigeant, le plus inapprochable depuis qu’il est au pouvoir; il faut l’avoir vu au temps de sa disgrâce, mendier timidement, avec un sourire brillant d’amoureux, le salut hautain d’un journaliste quelconque; il faut avoir vu le redressement de Cottard (que ses nouveaux malades prenaient pour une barre de fer), et savoir de quels dépits amoureux, de quels échecs de snobisme étaient faits l’apparente hauteur, l’anti-snobisme universellement admis de la princesse Sherbatoff, pour comprendre que dans l’humanité la règle - qui comporte des exceptions naturellement - est que les durs sont des faibles dont on n’a pas voulu, et que les forts, se souciant peu qu’on veuille ou non d’eux, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse.

Sodome et Gomorrhe, Marcel Proust.

mercredi 23 juin 2010

dimanche 20 juin 2010

Le crépuscule d'une idole, Michel Onfray.

« Jésus est né juif, a vécu une vie de juif, puis est mort juif » : quel scandale cette évidence a pu soulever à une époque pas si lointaine. Même maintenant, allez expliquer à certaines grenouilles de bénitier incultes (pléonasme) que SA religion fut inventée, bien après la mort de Yeshoua Ben Yosef dans les environs de Yerushalayim, par un petit groupe de sectateurs paganojuifs à qui la circoncision faisait peur, ou qui voulaient plus prosaïquement continuer à bouffer du porc, et au mieux ils vous regarderont comme un fou, au pire ils voudront vous faire la peau.

Certaines vérités ne peuvent pas être entendues, car elles sapent les fondations sur lesquelles une conception du monde s’est développée. Accepter la réalité d’une évidence reviendrait à entreprendre un tel chantier qu’il est préférable de continuer à vivre avec les sornettes apprises dès avant qu’on était capable de penser, plutôt que de se mettre à rebâtir sa conception du monde sur des bases plus solides.

C’est un peu ce qui se passe actuellement autour de Freud : osez dire qu’il fut un charlatan, et sa psychanalyse une pseudo science, et voilà un petit groupe très influent qui refusera ces vérités, se sentira menacé, et préférera au débat sur le fond l’insulte ou la calomnie. Ainsi, une corporation de gens installés qui savent tout sur tout, un petit clan mené par la Verdurinesko organise le lynchage médiatique d’Onfray dans des tribunes qui leur sont très largement ouvertes (Nouvel Obs, Télérama, Le Point …), en lui reprochant des intentions secrètes : au mieux il serait un sous marin des comportementalistes, au pire un affreux antisémite. Leur argument ?: certains pourris ont combattu la théorie freudienne, donc tous ceux qui combattent la théorie freudienne sont des pourris.

Onfray commence par rappeler dans sa préface tout ce qu’il doit à la lecture qu’il a faite de Freud pendant son adolescence. Il explique d’ailleurs que sa première intention ,quand il a commencé à s’intéresser à la critique de la théorie freudienne, était de mieux la connaître pour mieux la combattre, jusqu’à ce qu’il se rende compte que cette critique était dans le vrai. Il n’était donc pas question à l’origine d’une entreprise de démolition, mais plutôt d’enlever le vernis, chercher à décaper les couches de mythe, de légende, à nous restituer la vie d’un homme et de son œuvre sans le traitement à la feuille d’or qui caractérise toutes les biographies officielles.

Mais Onfray, en vrai philosophe qu’il est, plutôt que de plier les faits à ses préjugés, s’est converti aux faits. La thèse d’Onfray tient en une phrase : « La psychanalyse est une discipline vraie et juste tant qu’elle concerne Freud et personne d’autre. », ce qui peut encore s’énoncer de la manière suivante : « Faut pas prendre son cas pour une généralité. ». Il va articuler sa réflexion autour de cinq thèses :
• La psychanalyse dénie la philosophie, mais elle est elle-même une philosophie.
• La psychanalyse ne relève pas de la science, mais d’une autobiographie personnelle.
• La psychanalyse n’est pas un continuum scientifique, mais un capharnaüm existentiel.
• La technique psychanalytique relève de la pensée magique.
• La psychanalyse n’est pas libérale, mais conservatrice.

Ce qui m’a le plus intéressé dans ce travail, c’est le démontage de l’entreprise d’autopromotion de Freud. On découvre derrière l’image convenue du vieux sage viennois un arriviste mégalomane, qui met au moins autant d’énergie à son entreprise d’autoglorification qu’à son travail de recherche. On découvre un Freud précurseur surtout dans le domaine du marketing, inaugurant le monde de la marque et du logo qu’on connaît aujourd’hui. Freud recycle plus qu’il n’invente, conceptualisant sur un modèle scientiste des intuitions largement développées avant lui par Nietzsche. On s’amuse beaucoup à certaines pages, quand Onfray raconte la manière dont Freud et ses apôtres accusent Nietzsche de plagiat par anticipation.

Onfray clôt son essai par ces paroles de Derrida : « Je me trompe peut-être, mais le ça, le moi, le surmoi, le moi idéal, l’idéal du moi, le processus secondaire et le processus primaire du refoulement, etc. – en un mot les grandes machines freudiennes (y compris le concept et le mot d’inconscient !) – ne sont à mes yeux que des armes provisoires, voire des outils rhétoriques bricolés contre une philosophie de la conscience, de l’intentionnalité transparente et pleinement responsable. »
En résumé, Freud n’est pas Darwin, ou Copernic, mais plutôt un plagiaire génial de Nietzsche.

mercredi 9 juin 2010

La descente de Pégase, James Lee Burke.


Une jeune étudiante « suicidée » d’une balle de gros calibre en pleine face, un vagabond renversé par une voiture dont le corps en décomposition est retrouvé à moitié dévoré par les crabes, et un meurtre vieux de vingt ans : c’est sur ces trois affaires que va enquêter notre Dave Robicheaux préféré.

Ce que j’aime chez James Lee Burke, c’est sa façon de nous balancer sans fioritures dans le bain dès les premières pages du livre. Pas de préliminaires, nous voila tout cru au milieu d’un bayou puant infesté d’alligators voraces. Pas non plus de démarches inutiles pour obtenir un billet d’avion, un passeport et un visa : on est à New Iberia Louisiane en moins de temps qu’il n’en faut à Marcel pour s’endormir (oui je sais, ce n’est pas difficile). Burke a mis au point le moyen le plus rapide pour le déplacement du lecteur dans l'espace sans parcours physique des points intermédiaires entre le lieu de départ et celui d’arrivée (à moins bien entendu que ce lecteur se trouve à New Ibéria Louisiane).

Et Dave Robicheaux, quelle trouvaille !
Ce podna, avec son raton laveur Tripod, sa façon de siroter des Dr Pepper pour résister à la tentation de l’alcool, et ses souvenirs du Vietnam, avait tout pour sombrer dans la caricature. Et pourtant il résiste au cliché. C’est toujours avec le même plaisir que je retrouve ce flic pétri d’humanité, si plein de contradictions. Avec Robicheaux, jamais de jugements définitifs malgré ses convictions gravées dans le marbre, la vérité est toujours à chercher entre deux demi mensonges. C’est aussi un des rares flics de la planète qui distingue la morale et l’éthique, la loi et la justice :
« Chaque avocat le sait, chaque flic, chaque journaliste spécialisé dans les faits divers également : parfois justice est rendue, parfois pas ».
Lucide et sceptique : c’est cela, je crois, qui me le rend particulièrement attachant.

Je ne peux que recommander la lecture de ce roman, avec pourtant une mise en garde pour les novices : il sera difficile de résister à la lecture des QUATORZE AUTRES !

Merci à Babelio pour cette lecture.

dimanche 6 juin 2010

Une femme: Dominique Blanc lit Annie Ernaux.

La villa Mont Noir organisait à Bailleul hier soir la lecture par Dominique Blanc d’ « Une femme », d’Annie Ernaux, . J’avais essayé de lire il y a quelques temps « Les années » du même auteur, et j’avoue que je n’avais pas été passionné par cette lecture. C’est donc avec quelques réserves que je me suis rendu à ce spectacle.
Dans un décor minimaliste, une modeste table sur laquelle étaient posés un verre, une carafe d’eau et une lampe de bureau, Dominique Blanc a commencé sa lecture : l’histoire d’une vie, celle de la mère d’Annie Ernaux, avec pour sujet principal l’ambivalence des sentiments que la fille portait à sa mère. Et lentement, doucement, je suis parti en voyage, emporté par un souffle, une voix, une vitalité, celle de Dominique Blanc. J’ai été captivé par ce texte, par ces mots simples, subtilement agencés, qui me touchaient, qui faisaient resurgir en moi de profondes émotions. A la fin de la lecture, plus de deux heures s’étaient écoulés, une parenthèse magique, un moment de grâce, la rencontre parfaite d’un l’auteur et de sa liseuse.
Mon souhait irréalisable : obliger Dominique Blanc à me lire tout Annie Ernaux, pendant mille et une nuits. Faute de l’exaucer, je vais me replonger seul dans l’univers de cet auteur, en espérant revivre une partie de l’expérience magique d’hier soir.

samedi 5 juin 2010

L'art des séries télé ou comment surpasser les Américains, Vincent Colonna.

Vincent Colonna s’interroge sur les causes qui pourraient expliquer l’évidente supériorité des séries américaines par rapport aux séries françaises. Il démontre, exemples à l’appui, que ce n’est pas tant une disproportion des moyens financiers, comme on l’entend très souvent, qui fournirait l’explication. C’est plutôt une conception différente de ce que doit être une bonne histoire, pour ce média spécifique qu’est la télévision, qui explique la relative médiocrité de la plupart des séries françaises. Pour schématiser, en France, les diffuseurs privilégieraient des recettes qui ont fait leur preuve au cinéma, sans se rendre compte que la série télé est beaucoup plus proche de la série radiophonique, ou encore du roman feuilleton que du film de cinéma.
Pour soutenir sa thèse, Colonna décortique avec minutie les raisons du succès ou de l’échec de certaines séries. Au cœur du débat, la dispute éternelle entre les classiques et les modernes : les Américains, de manière paradoxale, auraient préservé les règles du récit classique, alors qu’elles seraient tombées en désuétude en France, sous l’action des recherches modernes en narratologie. La télévision serait le média resté le plus proche des conditions de création du récit classique. En gros, tournons-nous plutôt vers Aristote que vers Genette pour captiver les téléspectateurs (je caricature le propos, bien sûr).
Colonna ne se contente pas de décalquer les théoriciens de la dramaturgie pour confirmer ses intuitions. Il étaye aussi son propos des résultats de recherches récents dans les sciences cognitives. Et les anciens se révèlent être les plus modernes sur de nombreux points !

Pour autant, aussi brillante que soit son argumentation, il me semble qu’il laisse de côté une des raisons majeures qui font la supériorité des séries américaines : la qualité des acteurs. A-t-on jamais vu en France un acteur de série se révéler, comme Steve McQueen, Johnny Depp ou Georges Clooney ? Et sans citer les noms les plus connus, on est toujours impressionnés par le jeu des acteurs des séries américaines, seconds et troisièmes rôles y compris. J’aurais souhaité lire un développement consacré à la comparaison des méthodes de formation des acteurs, ou sur les méthodes de recrutement.

Cet essai demeure cependant très instructif pour qui s’intéresse aux machines outils des usines à rêves, aux mécanismes qui nourrissent l’intérêt du spectateur. L’auteur réussit à dépasser le cadre des séries télé, et nous invite à un voyage captivant au pays des créateurs d’émotions.

vendredi 4 juin 2010