samedi 29 août 2009

Julius Winsome, Gérard Donovan.

Julius Winsome consacre sa vie à son chien, Hobbes, et à la lecture. Il vit en ermite dans le Maine, région enneigée des États Unis, à la frontière du Canada. Il habite un chalet tapissé de milliers de livres. Il nous raconte comment il devient sniper pour venger la mort de son chien, prenant pour cibles les chasseurs qu'il accuse de ce crime.
C'est une œuvre qui mêle poésie et roman noir. On pense à Walden, avec cette exaltation de l'individualisme au cœur d'une nature omniprésente. Mais Julius est un Thoreau devenu fou. Contre la non violence, il choisit la loi du Talion: il devient un loup pour les viandards qui l'entourent.
C'est aussi la confession d'un passionné de lecture. Mais ce lecteur est d'un type particulier: égotiste, renfermé, sans contact avec l'autre. Pourquoi lit-on? Pour se construire, pour grandir, puis pour affronte le monde avec davantage d'épaisseur. Julius a trop lu sans échanger, a coupé le cordon qui le liait à l'humanité, s'est cloîtré dans son univers livresque. La façon shakespearienne avec laquelle Julius s'exprime est un symptôme de cette parole qui s'enferme sur elle-même, qui tourne à vide. L'accès à l'altérité disparaît, les géants qui auraient pu le porter sur leurs épaules l'étouffent. Le délire paranoïaque de Julius était en germe: il va s'épanouir quand sa dernière porte de sortie se referme avec la mort de Hobbes.
Gérard Donovan a créé un personnage magnifique, simple et profond, limpide et complexe à la fois, qui nous accompagnera longtemps.

samedi 22 août 2009

Un acte d'amour, James Meek.

L'action principale se situe en 1919, pendant la révolution russe. Quatre destinées vont se croiser dans un village perdu de Sibérie: celles d'une femme, Anna Petrovna, du chef du village, Balashov, d'un bagnard en fuite, Samarin, et enfin de Mutz, le lieutenant d'une légion aux ordres d'un fou sanguinaire.
Pour rendre intense notre attachement à chacun de ses personnages, James Meek prend le temps au début du roman de nous les rendre palpables, de leur insuffler la vie, avec une éblouissante maîtrise de démiurge. Puis il va les conduire aux situations les plus extrêmes, les forcer à agir contre leurs convictions, les confronter au choix entre noblesse et ignominie.

Il s'agit d'un thriller métaphysique, la profondeur de la réflexion se disputant à la vitesse de l'action, c'est du Tolstoï sous amphétamines. On se laisse d'abord tout doucement prendre par une écriture magnifique, des descriptions d'une finesse psychologique rare. Puis l'intrigue s'accélère, sans que l'on s'en rende compte, jusqu'à ce qu'il devienne impossible de sauter du train. On finit le roman sur les rotules, on en veut presque à l'auteur de ce K.O. auquel on n'était pas préparés.
Admirable.

jeudi 20 août 2009

Au bon roman, Laurence Cossé

L'idée de départ était plutôt alléchante: raconter la jalousie suscitées par le succès d'une librairie ne vendant que de bons romans. Et le début du roman tient ses promesses: on est plongé immédiatement dans l'action, avec une série d'attentats dont les victimes sont les membres secrets du comité qui doit élire parmi tous les romans parus depuis quatre siècles la crème du genre.
Malheureusement, le soufflé retombe, l'intrigue devient poussive après 300 pages, et c'est long quand on sait que le roman en contient près du double.

Sans doute cela est-il du pour partie à une histoire sentimentale guimauve qui vient alourdir de manière artificielle la construction d'ensemble. On atteint par moments la quintessence de la collection Harlequin, ce qui ne devait pas être le but recherché.
On peut également regretter la frilosité de l'auteur, qui use de pincettes de dix mètres de long pour dénoncer la Famille consanguine qui fait la loi dans le petit monde de l'édition, entre renvoi d'ascenseurs et copinage intéressé.

Finalement, le roman vaut surtout par la liste de lectures qu'il propose. Mais assurément, il démontre qu'il ne suffit pas d'avoir bon goût pour créer de la bonne littérature.

mardi 18 août 2009

Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde, Steven Hall.

Les deux méchants de l'histoire, ce sont deux monstres virtuels, deux golems qui étendent leur empire sur le monde réel. Le premier est un ludovicien, requin nageant dans les flux d'idées, se nourrissant de mémoire humaine. Le second, Mysoft Ward, était à l'origine un chercheur ayant découvert le secret de la vie éternelle, mais dépassé par le monstre qu'il a créé.

Les gentils, ce sont un homme sans mémoire, son chat, une jeune fille qui va se révéler être la compagne idéale de l'homme sans mémoire, et enfin un vieil homme, savant ronchon, mais qui cache un cœur vaillant et généreux. La survie de ce petit groupe va passer par la destruction des deux monstres.

L'intrigue est cousue de fil dentaire, et pourtant on est tenu en haleine sur la longueur par ce thriller fantastique. La manière de recycler les clichés du genre est astucieuse de bout en bout. On pense bien sûr aux dents de la mer, mais également à Frankenstein, tout cela épicé de légendes urbaines, et relevé d'une pincée de théorie du complot.

S'il est vrai pourtant que par moment, on frôle la recette de cuisine, l'auteur s'en sort à chaque fois par la grâce de vrais morceaux de littérature. La sincérité de l'auteur finit par l'emporter in extrémis sur l'impression d'un roman construit avec de grosses ficelles. On reste sur une note finale positive, essentiellement par la grâce d'une histoire d'amour qui finit par emporter le morceau. C'est quand l'auteur renonce à ses effets les plus faciles qu'il nous convainc de l'évidence de son talent.

vendredi 7 août 2009

Dirk Wittenborn, le remède et le poison.

Cette saga familiale a pour cadre les États-Unis du début des années 50 jusque la fin des années 90. Le père, Will Friedrich, chercheur en psychologie, débute une carrière universitaire au moment des premières expérimentations sur les antidépresseurs et autres substances chimiques, pour «traiter» les maladies de l'âme. Il va mettre au point un psychotrope efficace avec l'aide d'une collègue psychanalyste. Mais si ce pharmakon (remède et poison) favorise dans certains cas un accomplissement personnel spectaculaire, c'est au prix d'un effet secondaire lourd de conséquence: la transformation d'un gentil garçon, un peu inhibé, en tueur paranoïaque.
On va suivre pendant près d'un demi-siècle l'itinéraire de Will et de sa famille. On va surtout découvrir comment, tout au long de ces années, le boulet d'une culpabilité mal assumée, difficile à avouer va empoisonner les rapports de Will avec les autres membres de sa famille.

Pour être honnête, il faut presque se forcer dans les premières pages, tant la prose paraît fade et maladroite, et le contenu anecdotique. Pourtant, la persévérance dans la lecture de ce pavé sera bientôt récompensée. Une fois passée la mise en place laborieuse des personnages et de l'action, c'est du bon, du très bon qui nous attend. On est dans le sillage des Franzen, Eugenides, on devine derrière l'ombre tutélaire d'Irving. L'auteur nous mène sur cette ligne de crête difficile à suivre, entre burlesque et tragique. Chaque éclat de rire engendre immédiatement un zeste d'acidité. On se reconnaît forcément dans cette description au vitriol des rapports familiaux, sans que cela ne soit jamais gâcher par une quelconque visée moralisatrice.

C'est un excellent moment de lecture.