dimanche 27 juillet 2008

Willard et ses trophées de bowling, Richard Brautigan.



C'est l'histoire d'une tragédie.
Bob et Constance sont les deux gentils, et ils ont bien des malheurs, parce qu'ils ont des verrues génitales, et que ça a transformé radicalement leurs rapports sexuels.
Les Logan Brothers, c'est les trois méchants: il y a celui qui répond au téléphone, celui qui lit des illustrés et enfin celui qui pense à la prochaine bière qu'il va s'envoyer. Si les méchants sont si méchants, c'est pas de leur faute, c'est à cause de la société, qui permet que trois braves petits gars qui avaient pour seule passion les concours de bowling, se fassent détrousser de leur merveilleuse collection de trophées. Alors forcément, ça donne des envies de meurtre.

Mais à vrai dire, l'histoire on s'en fout.
En fait, Brautigan, c'est le gars qui nous plante le décors, et puis après, il nous tire par la manche, et nous montre l'arrière du décors, le contreplaqué pas peint, les sparadraps et bouts de ficelle qui font tout tenir debout. Et son exploit, c'est de tenir la distance sur prés de 200 pages, suscitant des rires du début à la fin, sans jamais lasser.

Chapeau!

vendredi 25 juillet 2008

Les Trois Roses jaunes, Raymond Carver.



Il s'agit d'un recueil de nouvelles.
Des histoires banales: entre autres un fils partagé entre l'ennui de la proximité d'une mère acariâtre, et sa mauvaise conscience face à son déménagement programmé; ou encore un homme qui se ruine au travail pour subvenir aux besoins d'une famille qui vit à ses crochets. La dernière nouvelle tranche avec l'ambiance générale du recueil, puisqu'il s'agit des derniers moments de Tchekhov, et de sa nuit d'agonie dans une chambre d'hôtel, entouré de sa sœur et de son médecin.
Ces histoires se lisent sans ennui particulier, sans passion non plus. On se dit qu'il est naturel qu'il soit publié dans le New York Times, tant cela relève de l'anecdotique.
Tout cela peut intéresser un cercle restreint de lecteurs extraordinaires, curieux de ce qui se passe dans la vie des gens ordinaires.

dimanche 20 juillet 2008

Demande à la poussière, John Fante.



Il court, il court, Arturo Bandini.
Et c'est pur plaisir que de le suivre dans ses pérégrinations de Bunker Hill à Long Beach, en passant par le désert du Mojave.
Il nous raconte sa vie d'écrivain débutant, Arturo; il a des rêves de gloire plein les mirettes, mais pour parvenir à raconter des histoires, il faut multiplier les rencontres, les expériences de vie, comme d'autres multiplient les petite pains.
Alors il sort, et dans un bar pourri, il finit par rencontrer sa princesse. Sauf que c'est pas vraiment comme dans "once upon a time"; d'abord elle est plus métèque qu'Aurore la belle, mais ce n'est pas ça qui ferait détourner ses ital-eyes. Non, ce qui ferait tout foirer, c'est son caractère de cochon à Camilla. Il faut dire que Bandini se la joue plutôt pyromane que pompier, et on sent tout le plaisir qu'il a à vider une bouteille d'alcool à brûler sur les braises quand le feu semble éteint.
La réussite du roman tient à la distance ironique que Fante parvient à entretenir avec lui-même, et au style qui par moment atteint une verve toute célinienne. J'avais besoin d'une telle lecture revigorante après "la route" apocalyptique de McCarthy.

Le siècle de Freud, Eli Zaretsky.



J'aurais du me méfier: préface de la Roudinesko, gardienne du mausolée freudien.
Un gros pavé illisible, à force de notes et de citations, qui sentent le besoin de faire la preuve d'une thèse par accumulation de cas particuliers.
Que veut montre l'auteur? Que la psychanalyse a joué un rôle nécessaire dans l'établissement de la société de consommation, singeant pour cela la théorie weberienne sur le calvinisme et la naissance de l'esprit du capitalisme.
C'est assommant de manque de discrimination entre l'accessoire (pléthorique) et le nécessaire (bien maigre) à l'établissement de la démonstration, et la traduction par endroits sent le travail bâclé.
A éviter.

vendredi 11 juillet 2008

La route, Cormac McCarthy



La description d'une extinction massive.
Du gris, des cendres. Le froid et l'humidité. Et dans ce monde mort, un homme et son fils. Ils avancent. La route ne mène nul part, elle est son propre but. Survivre, malgré le désespoir, l'horreur de l'extermination.

Il ne faut pas commencer ce roman si on attend de la littérature du plaisir, de la joie, de l'optimisme. Car ce roman en est l'antithèse, et il vous sera impossible de reposer ce livre après avoir croisé la route de l'homme et du petit. Pire qu'un cauchemar, vous vous réveillerez pour continuer ce mauvais rêve. J'ai voulu arrêter dix fois cette lecture, mais je n'ai pas pu, malgré l'épreuve de sa poursuite.

La cause première, c'est le style de McCarthy: il est éblouissant. En usant d'une écriture limpide, celui-ci parvient à atteindre un pouvoir d'évocation exceptionnel. J'ai rarement été transporté aussi loin par un auteur:

"Peut-être que dans la destruction du monde il serait enfin possible de voir comment il était fait. Les océans, les montagnes. L'accablant spectacle des choses en train de cesser d'être. L'absolue désolation, hydropique et froidement temporelle. Le silence."

Je suis devenu un McCarthyste convaincu.

lundi 7 juillet 2008

Violette (9)

"A cette première visite qu’en quittant Saint-Loup j’allai faire à Mme de Villeparisis, suivant le conseil que M. de Norpois avait donné à mon père, je la trouvai dans son salon tendu de soie jaune sur laquelle les canapés et les admirables fauteuils en tapisseries de Beauvais se détachaient en une couleur rose, presque violette, de framboises mûres."

Marcel Proust, Le côté de Guermantes.

dimanche 6 juillet 2008

Diddley Bow.

Bo Diddley a emprunté son nom à un instrument rudimentaire, le diddley bow, constitué d'une caisse de résonance et d'une corde. A l'origine, la guitare de Bo Diddley n'est donc pas une six cordes, mais une unicorde, n'en déplaise à Marc Villard.
Voici une démonstration, en réponse aux esprits chagrins qui demandent pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.

Lynchage.

"Un numéro du programme me fut extrêmement pénible. Une jeune femme que détestaient Rachel et plusieurs de ses amies devait y faire dans des chansons anciennes un début sur lequel elle avait fondé toutes ses espérances d’avenir et celles des siens. Cette jeune femme avait une croupe trop proéminente, presque ridicule, et une voix jolie mais trop menue, encore affaiblie par l’émotion et qui contrastait avec cette puissante musculature. Rachel avait aposté dans la salle un certain nombre d’amis et d’amies dont le rôle était de décontenancer par leurs sarcasmes la débutante, qu’on savait timide, de lui faire perdre la tête de façon qu’elle fît un fiasco complet après lequel le directeur ne conclurait pas d’engagement. Dès les premières notes de la malheureuse, quelques spectateurs, recrutés pour cela, se mirent à se montrer son dos en riant, quelques femmes qui étaient du complot rirent tout haut, chaque note flûtée augmentait l’hilarité voulue qui tournait au scandale. La malheureuse, qui suait de douleur sous son fard, essaya un instant de lutter, puis jeta autour d’elle sur l’assistance des regards désolés, indignés, qui ne firent que redoubler les huées. L’instinct d’imitation, le désir de se montrer spirituelles et braves, mirent de la partie de jolies actrices qui n’avaient pas été prévenues, mais qui lançaient aux autres des œillades de complicité méchante, se tordaient de rire, avec de violents éclats, si bien qu’à la fin de la seconde chanson et bien que le programme en comportât encore cinq, le régisseur fit baisser le rideau. Je m’efforçai de ne pas plus penser à cet incident qu’à la souffrance de ma grand’mère quand mon grand-oncle, pour la taquiner, faisait prendre du cognac à mon grand-père, l’idée de la méchanceté ayant pour moi quelque chose de trop douloureux. Et pourtant, de même que la pitié pour le malheur n’est peut-être pas très exacte, car par l’imagination nous recréons toute une douleur sur laquelle le malheureux obligé de lutter contre elle ne songe pas à s’attendrir, de même la méchanceté n’a probablement pas dans l’âme du méchant cette pure et voluptueuse cruauté qui nous fait si mal à imaginer. La haine l’inspire, la colère lui donne une ardeur, une activité qui n’ont rien de très joyeux; il faudrait le sadisme pour en extraire du plaisir, le méchant croit que c’est un méchant qu’il fait souffrir. Rachel s’imaginait certainement que l’actrice qu’elle faisait souffrir était loin d’être intéressante, en tout cas qu’en la faisant huer, elle-même vengeait le bon goût en se moquant du grotesque et donnait une leçon à une mauvaise camarade. Néanmoins, je préférai ne pas parler de cet incident puisque je n’avais eu ni le courage ni la puissance de l’empêcher; il m’eût été trop pénible, en disant du bien de la victime, de faire ressembler aux satisfactions de la cruauté les sentiments qui animaient les bourreaux de cette débutante."

Marcel Proust, Le côté de Guermantes.

samedi 5 juillet 2008

L'histoire de l'amour, Nicole Krauss.


Le personnage principal du roman, c'est un livre.
L'histoire de ce livre est l'occasion de feuilleter un album de famille, de visiter une galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Que ce soit le vieillard trahi, l'écrivain raté, l'adolescente idéaliste, ou l'enfant qui se prend pour le messie, chacun porte sur le monde et les autres un regard lucide et réaliste, et la réunion de tous ces points de vue crée un fond d'humanité où l'on se retrouve soi-même.
Un autre fil relie entre elles toutes ces histoires particulières, celui de la tuerie des juifs en Europe. Les héros du roman sont des rescapés de la solution finale, ou leurs enfants, ou leurs petits-enfants, des êtres jetés au hasard de l'autre côté de l'Atlantique. Pourtant, nul pathos ni escroquerie putassière aux sentiments, c'est à petite touches ironiques que l'auteur convie le lecteur à un précieux moment de plaisir et d'intelligence.

Violette (8)

"Cependant elle s'avançait: ignorant de cette réputation éparse, son corps étroit, réfractaire et qui n'en avait rien absorbé était obliquement cambré sous une écharpe de surah violet; ses yeux maussades et clairs regardaient distraitement devant elle et m'avaient peut-être aperçu; elle mordait le coin de sa lèvre; je la voyais redresser son manchon, faire l'aumône à un pauvre, acheter un bouquet de violettes à une marchande, avec la même curiosité que j'aurais eue à regarder un grand peintre donner des coups de pinceau."

Marcel Proust, Le côté de Guermantes.

mercredi 2 juillet 2008

Moriarty.

Pour ceux qui aiment l'Amérique rebelle, l'harmonica et la dobro.

mardi 1 juillet 2008

Marcel méméticien.

"On est l'homme de son idée; il y a beaucoup moins d'idées que d'hommes, ainsi tous les hommes d'une même idée sont pareils. Comme une idée n'a rien de matériel, les hommes qui ne sont que matériellement autour de l'homme d'une idée ne la modifient en rien."
[...]
"Mais j'avais compté sans le revers qu'avait la gentille admiration de Robert pour moi et pour quelques autres personnes. Cette admiration se complétait d'une si entière assimilation de leurs idées, qu'au bout de quarante-huit heures il avait oublié que ces idées n'étaient pas de lui. Aussi en ce qui concernait ma modeste thèse, Saint-Loup, absolument comme si elle eût toujours habité son cerveau et si je ne faisais que chasser sur ses terres, crut devoir me souhaiter la bienvenue avec chaleur et m'approuver.
- Mais oui! Le milieu n'a pas d'importance.
Et avec la même force que s'il avait eu peur que je l'interrompisse ou ne le comprisse pas:
- La vraie influence, c'est celle du milieu intellectuel! On est l'homme de son idée!
Il s'arrêta un instant, avec le sourire de quelqu'un qui a bien digéré, laissa tomber son monocle, et posant son regard comme une vrille sur moi:
- Tous les hommes d'une même idée sont pareils, me dit-il, d'un air de défi. Il n'avait sans doute aucun souvenir que je lui avais dit peu de jours auparavant ce qu'il s'était en revanche si bien rappelé."

Marcel Proust, Le côté de Guermantes.