jeudi 19 novembre 2009

La France de Sarkozy.

Vous vous êtes exilée à Berlin pour des raisons politiques?

Marie NDiaye: Je n'irais pas jusque là! On serait partis même si Ségolène Royal avait été élue! Nous n'avons pas fui je ne sais quel tyran. Mais c'est vrai que ça a été l'accélérateur du processus. Plus du tout envie d'être là. Et c'est toujours vrai aujourd'hui. En Allemagne, il y a tout de même une morale. On peut ne pas être d'accord avec les idées de Merkel mais, même si c'est une politique de droite, on ne sent pas le pays livré à l'immoralité comme en France. Sarkozy, oui, c'est un manque de tenue, d'élégance morale.

mercredi 18 novembre 2009

Slumberland, Paul Beatty.

Slumberland s’inscrit dans l’héritage du voyage de Gulliver, ou des lettres persanes. C’est une étude humoristique des mœurs et coutumes de nos voisins teutons.

Le héros du roman, Ferguson, est un DJ noir américain. Il a créé un beat d’anthologie, et veut retrouver un musicien génial, seul capable de l’interpréter, le Schwa. Sa quête le mène alors dans le Berlin de la fin des années 80. C’est le prétexte du roman, l’intrigue qui va servir de liant à cette longue méditation sur la musique, le sexe, la race, et toutes sortes de sujets propices à choquer le bourgeois. Le roman va alterner les monologues intérieurs du narrateur, et ses conversations avec les représentants d’une faune berlinoise très bigarrée.

J’ai retenu de cette lecture un thème qui traverse le roman de bout en bout : la mauvaise conscience, les non dits qui hantent les relations entre enfants de bourreaux et enfants de victimes. C’est dans ce but que l’auteur immerge un descendant d’esclave en Allemagne. Qu’est ce qui change si on remplace le juif par le noir, ou l’Alabama des années 50 par l’Allemagne post hitlérienne ? Rien. Beatty s’ingénie à rendre compte d’un malaise qui ne passe pas, à traquer derrière les faits les plus banals les traces d’un passé toujours vivant:
« Parfois, dans le métro, je me tiens dans mon coin, à l’écart, je contemple les banlieusards, les punks bardés de piercings et les étudiants, tous assis droit comme des i sur leurs sièges, les coudes ramenés sur le côté, et c’est alors que remontent mes préjugés et mes craintes génocidaires. Je songe qu’un jour une sonnerie retentira, ces gens se lèveront tous comme un seul homme en un claquement de talons, poussant un belliqueux « Jawohl ! », et m’ordonneront de monter dans le prochain train. Je sais qu’une telle sonnerie peut retentir dans n’importe quel pays, à n’importe quel moment. Et que certains se lèveront en toute bonne foi, que d’autres se lèveront par peur, et que quelques-uns sortiront grandis de cette épreuve en n’obéissant pas, ils hébergeront leurs semblables, distribueront des tracts, mourront en tentant quelque chose. Mais quand même. »
Bien sûr, personne n’est responsable des actes de ses parents, et cependant il reste une tâche indélébile. Le commun des rencontres humaines se nourrit de catégorisations débiles, qui se constituent à notre insu, qui nous contraignent à nous comporter comme héritier d’un crime sans date de prescription.

Le ton ironique du roman, la complaisance sans risque d’un voyeurisme distant fait souvent penser à Houellebecq. Je l’ai lu avec le même plaisir masochiste teinté de nausée. Mais heureusement, il y a cette place de choix faite à la musique, qui permet de disperser les relents schopenhaueriens d’un parti antihumaniste. Et un autre adjuvant à cette pilule amère, c’est le style : un style vivant et percutant, inventif, poétique, qui rend la prose de Beatty si musicale :
« Tout corps funky de l’univers exerce sur tout autre corps hip-aï-di-ho une force d’attraction soulsonique ayant pour axe la ligne de basse et directement proportionnelle au produit de la masse de leurs culs à la ramasse et inversement proportionnelle au carré taré de la séparation raciale entre les deux objets.
F=G*m1*m2/r2
où : F est le funk, G la constante groove, m1 la masse du premier cul à la ramasse, m2 la masse du second cul à la ramasse, et r la grande division raciale. »
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mardi 3 novembre 2009

Le Club des Incorrigibles Optimistes, Jean-Michel Guenassia.

L’auteur nous emmène dans le Paris du début des années 60. C’est l’histoire de Michel, lycéen à Henry IV, passionné de lecture, de photographie et de baby foot. Dans l’arrière salle d’un café, il va découvrir un repaire d’exilés politiques de l’Est. Ces derniers vont l’initier au jeu d’échec, et lui confier leurs histoires les plus intimes. Elles vont entrer en résonnance avec ses propres tourments d’adolescent : le départ de son meilleur ami, puis de son frère pour l’Algérie, pendant qu’à la maison, ses parents se livrent une guerre d’usure, sur fond de lutte des classes.

C’est un roman de prés de 800 pages sans une longueur ! On se laisse emporter par le récit sans que jamais l’intérêt ne s’émousse. La vie déborde partout du cadre, comme dans les plus belles photographies de Boubat ou de Ronis. L’histoire est racontée de bout en bout par un seul narrateur, Michel, et pourtant Guenassia réussit l’exploit de multiplier les points de vue, de rendre chaque situation dans sa complexité, sans jamais prendre partie ou juger les actes de ses personnages. Ainsi, quand Leonid trahit son ami Dimitri, et choisit de passer à l’ouest pour retrouver la femme de sa vie :
« Il s’en voulait de n’avoir rien tenté pour aider son ami. Il essayait de se persuader que cela n’aurait servi à rien. Le visage de Dimitri disparut, effacé par celui de Milène. On dit qu’il n’est pas nécessaire de réussir pour entreprendre, c’est une vérité profonde. Ce qui relève de la conviction et de l’espoir échappe à la logique. Quand un homme accomplit son rêve, il n’y a ni raison ni échec ni victoire. Le plus important dans la Terre promise, ce n’est pas la terre, c’est la promesse. »

Guenassia prouve par l’exemple qu’il est possible d’atteindre des sommets par une écriture simple, limpide, sans triche.