vendredi 30 avril 2010

Pierre Hadot est mort.

mardi 20 avril 2010

Extrêmement fort et incroyablement près, Jonathan Safran Foer

J’ai longtemps remis la lecture de ce roman. Sans doute un peu la crainte d’être déçu, après la lecture de « Tout est illuminé », le premier roman de Jonathan Safran Foer. Je me suis décidé lors d’une flânerie en bibliothèque : je ne l’ai pas regretté. Foer se maintient au sommet avec ce deuxième chef d’œuvre.

Il s’agit encore d’un roman polyphonique. La voix principale, c’est celle d’Oskar, enfant de dix ans dont le père est mort dans les attentats du 11 septembre. Découvrant une clé alors qu’il fouine dans les affaires de son père, il se met en tête de découvrir quelle serrure cette clef ouvre. C’est ce qui motivera sa promenade, au hasard de sa quête, dans un New-York à hauteur d’enfant, encore fumant des cendres du World Trade Center. Son récit à la première personne s’interrompt à plusieurs reprises par de longues parenthèses, qui donnent la parole à d’autres personnages du roman. Son grand père, sous la forme de longues lettres adressées au père d’Oskar, sa grand mère sous la forme de lettres directement adressées à Oskar.

L’intrigue n’est pas une préoccupation de l’auteur. Il a choisi d’autres armes que le suspens pour nous captiver, pour nous séduire, pour nous envoûter. Le premier mot qui me vient à l’esprit pour caractériser le ton de ce roman, c’est, malgré parfois les horreurs décrites, la légèreté ; pas de celle qui s’envole sans laisser d’empreinte. Il y a de la profondeur, du lourd, du très lourd pour lester cette apparence d’apesanteur. Foer excelle dans sa façon d’évoquer des sentiments profonds sur un mode mineur. Il manie l’humour sans méchanceté, sur fond de métaphysique, il fait naître le spirituel avec spiritualité. Il est question principalement de mort et de chagrin, et donc de vie et de joie, à chaque page, à chaque ligne. Tout est tissé, tout se tient, avec simplicité, avec évidence.

Une des grandes forces du roman, c’est aussi la façon dont l’auteur réussit à catalyser les mêmes émotions à propos des bombardements d’Hiroshima et de Dresde, ou des attentats contre les tours de Manhattan : à chaque fois les mêmes questions sans réponse, les mêmes souffrances, une façon de montrer qu’il n’existe pas de bonnes et de mauvaises victimes.

J’ai également été séduit par le travail de l’auteur sur la forme, cette façon de dynamiter le genre corseté du roman, en introduisant des images, des photos, de la couleur, des trouvailles calligraphiques, sans que jamais cela ne parasite la lecture. Ces soudaines ruptures dans le déroulement classique de l’histoire sont toujours au service de la narration, amplifiant le pouvoir évocateur des mots. Tout fait sens, une unité profonde lie ces changements de registre, tout se répond comme dans une chambre d’écho.

Le plus difficile pour l’auteur d’un premier roman réussi est de confirmer son talent. On peut dire que Foer s’en tire de manière magistrale. Une chose est sûre : je n’attendrai pas aussi longtemps pour lire son prochain roman.

jeudi 8 avril 2010

Ecrire sa vie.

"Tu pourrais écrire sur d'autres gens." "L'histoire de ma vie est l'histoire de tous ceux que j'ai connu." "Tu pourrais écrire sur tes sentiments." Elle a demandé, "Ma vie et mes sentiments, n'est-ce pas la même chose?".
Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près.

dimanche 4 avril 2010

Vérité et contexte.

Toute vérité est-elle bonne à dire ?
Je ne me place pas sur le plan de la conversation ordinaire : la réponse me semble tellement évidente. Quiconque déciderait de ne plus jamais mentir à son entourage ferait le vide autour de lui. Le mensonge, c’est de l’huile nécessaire dans les rouages des relations humaines.

Je me place plutôt sur le plan du discours médiatique. Je pense en particulier à une émission vue récemment à la télévision : Taddei interrogeait Comte Sponville sur les propos de Zemmour, qui affirmait que la majorité des délinquants étaient noirs ou arabes. Le philosophe prenait la défense du journaliste, expliquant en substance que la seule chose importante à établir, c’était de savoir s’il avait dit la vérité, auquel cas on ne pouvait rien lui reprocher. Seule la question de l’exactitude des affirmations de Zemmour comptait à ses yeux.


"Affaire(s) " Zemmour Guillon ce-soir-ou-jamais 1/2
envoyé par maghrebb. - L'actualité du moment en vidéo.

Comte Sponville faisait une impasse complète sur le contexte des propos, faisait abstraction totale du but visé. Je me suis alors souvenu d’une publicité que j’avais vue pour un journal brésilien : on entendait en voix off un commentaire vantant les mérites d’un homme politique qui avait redressé économiquement son pays, jugulant l’inflation et le chômage. En même temps qu’on entendait ces vérités, la caméra s’éloignait peu à peu d’une image pixellisée, et on voyait à la fin apparaître le visage de Hitler.

Une vérité peut être haïssable au même titre qu’un mensonge, quand elle sert à justifier le rejet de l’autre. On peut dire devant une assemblée d’historiens que Hitler a réussi économiquement là ou d’autres ont échoué, ce n’est pas la même chose de le dire devant un parterre de néonazis.
De la même manière, on peut vouloir s’interroger sur l’origine ethnique des délinquants, mais balancer à la télé que la majorité des délinquants sont noirs ou arabes, c’est un peu plus faire peser sur des populations discriminées la haine des imbéciles.

samedi 3 avril 2010

Alcibiade, Jacqueline de Romilly.

Quel destin exceptionnel que celui d’Alcibiade. Je connaissais très vaguement son histoire de traître. Et j’ai découvert un Paganini de la volte face, un virtuose du retournement de veste, qui fait passer nos Sarkozy, Kouchner ou autres Besson pour de gentils amateurs.

L’époque à laquelle vit Alcibiade est une des périodes les plus passionnantes et les plus documentées de l’antiquité. C’est celle de l’apogée puis du déclin de l’empire Athénien. Alcibiade va tour à tour servir puis trahir les trois puissances de la région : Athènes, Sparte et la Perse.

Sa patrie, c’est Athènes. Il va la mener à la catastrophe à cause de la folle ambition qui l’anime : devenir Alcibiade le Grand, un siècle avant Alexandre. Parti pour conquérir la Sicile à la tête d’une invincible armada, il va être la victime d’un complot ourdi par ses adversaires athéniens, qui voient en lui un futur tyran, s’il revient triomphant de sa campagne militaire. Alcibiade, trahi par les siens, va choisir de trahir les siens : il se range du côté de Sparte. Il va ainsi devenir un conseiller politique et militaire déterminant dans la guerre du Péloponnèse, permettant à Sparte de prendre l’avantage sur Athènes.
Il va ensuite proposer sa médiation auprès du roi de Perse, pour tenter de le convaincre d’un rapprochement avec Sparte. Là encore, son éloignement de Sparte va réveiller ses adversaires lacédémoniens. Se sentant menacé, Alcibiade va trahir à nouveau pour devenir conseiller du satrape perse Tissapherne. On pense alors qu’ayant fait le tour de toutes les puissances à trahir, notre héros prendra une heureuse retraite. Pas vraiment …
Alcibiade va alors réussir le plus extraordinaire, le plus magnifique, le plus impensable retournement de situation : revenir à Athènes acclamé en héros.

Jacqueline de Romilly nous livre un magnifique thriller. Tous les ingrédients sont là pour nous tenir en haleine. On tourne les pages fébrilement, surpris par des rebondissements inattendus, conquis par un personnage attachant malgré ses turpitudes.
On trouve aussi matière à réflexion sur la motivation des hommes politiques :
« Le goût du faste, qui est étroitement lié à celui du pouvoir, lui [Alcibiade] fait dépenser de l’argent pour des gloires sportives, qui, effectivement, attirèrent les yeux de tous. Mais les achats faits à cette occasion furent financièrement suspects et entraînèrent des procès, qui traînèrent longtemps. Ce sont choses qui arrivent quand l’ambition, liée à l’audace, ignore les limites et les scrupules. Mais ce sont des choses, aussi, qui ne témoignent pas d’un bon état de la démocratie. ».
A méditer …