jeudi 25 juin 2009

He was a friend of mine, Bob Dylan.

Chacun sa manière d'évoquer les morts.

mercredi 24 juin 2009

Rien à craindre, Julian Barnes.



On le connaissait flaubertien, l'ami Barnes, avec son magnifique perroquet. Le voilà à présent montanien, avec cette promenade à sauts et à gambades. Je n'ai pas lu « Rien à craindre » d'une traite, ce n'est pas un thriller comme « Le perroquet de Flaubert ». Dans ce livre, aucune intrigue, mais une simple ballade avec un auteur éminemment cultivé et amical. Il nous livre sa généalogie littéraire, qui a connu beaucoup de semence française, et il s'en vante, le perfide albion.

Le thème central du livre est une méditation sur la mort. Attention au contre sens évident sur ce « Rien à craindre » du titre. Il ne rime pas avec le « même pas peur » vantard des cours de récréation. C'est de sa crainte du rien, du néant qui nous attend tous, mécréants que nous sommes devenus, que l'auteur a choisi de nous entretenir. Et oui, sa liberté d'homme sans Dieu, qu'il nous confie dans un paragraphe savoureux avoir conquis à la force lubrique de son poignet d'écolier, a eu une contrepartie: l'angoisse de la fin prévisible d'une belle histoire à laquelle il s'était attaché: la sienne.

Pas gai, le thème? Sans doute. Mais reprenant à son compte la célèbre formule sur la politesse du désespoir, Barnes nous retient par la manche à chaque fois après qu'il nous a conduit au bord du précipice. Il a choisi de décocher ses traits d'humour à la face de la grande faucheuse. On sourit souvent, on rit parfois. Et finalement, ce qui nous reste du livre une fois la dernière page tournée, c'est plutôt une dose d'optimisme, malgré les moments forts où il nous mène au bord de la tombe des êtres qu'il a aimé.

mercredi 17 juin 2009

Jésus sans Jésus, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur


C'est dans le cadre de la quête du Jésus historique que les recherches de Gérard Mordillat et de Jérôme Prieur s'inscrivent depuis quelques années. Depuis toujours, les évidences concernant Jésus se sont heurtées aux convictions des gardiens de l'orthodoxie. Le scandale suscité par la « découverte » de Reimarus: Jésus est né et mort juif, en est une illustration. Cet essai de démythification n'échappe pas à la règle, pour preuve la récente polémique qui a opposé les auteurs du livre aux représentants de la calotte.


Le premier opus de la trilogie, Jésus contre Jésus, replaçait l'homme dans son contexte historique. Le deuxième, Jésus après Jésus, démontrait que le fondateur du christianisme n'était pas Jésus, mais plutôt Paul de Tarse. Ce troisième tome, Jésus sans Jésus, nous invite à explorer de quelle manière une secte juive marginale s'est peu à peu émancipée, pour devenir leader sur le marché religieux.


Les auteurs s'interrogent d'abord sur l'identité de l'auteur de l'Apocalypse, Jean de Patmos. Ils contestent l'opinion commune qui fait des différents Jean du nouveau testament une seule personne, en relevant les incohérences chronologiques d'une telle thèse.

Ils reviennent ensuite sur le terme tiré de l'Apocalype: « synagogue de Satan », qui a servi pendant des siècles à stigmatiser les juifs. Contrairement à l'interprétation erronée qu'en a faite la tradition chrétienne, « la synagogue de Satan » qualifiait le mouvement paulinien. Ce courant du christianisme naissant était tourné vers la conversion des païens, et rentrait en concurrence avec le mouvement des origines, auquel appartenait Jean de Patmos. Le courant judéo-chrétien, fidèle à la loi mosaïque, tentait d'inscrire la parole de Jésus dans l'héritage juif. Ses représentants tenaient pour une abomination ce « christianisme light », incarné par Paul, qui sacrifiait à la cause d'un prosélytisme tourné vers les païens, l'interdiction de la consommation de porc, ou encore la circoncision.


Puis les auteurs nous montrent comment la culture du martyre a participé au succès du christianisme. Ils utilisent pour cela un parallèle intéressant avec le martyre musulman, le chahid, guerrier de la foi. Les réels cas de persécution aux origines du christianisme ont été amplifiés, pour le besoin de la propagande. Le sang des victimes a ainsi irrigué une littérature prosélyte, dont on retrouve jusqu'au Moyen Âge des exemples, avec La légende dorée.

S'est posée également la question de l'héritage biblique: fallait-il faire table rase des textes juifs, comme le préconisait Marcion au milieu du deuxième siècle, ou simplement prolonger l'ancien testament par un nouveau testament? Si la deuxième solution a fini par emporter l'adhésion des hiérarques d'une église en construction, on sait moins à partir de quelles relectures audacieuses les textes de la Torah ont fini par se transformer en annonce de la venue du Christ. On découvre ainsi comment, grâce à une herméneutique savante, le christianisme aurait précédé le judaïsme, en se réclamant d'une filiation directe avec Abraham. L'ancienneté en matière religieuse dans l'antiquité était un gage de paix et de sécurité, et pour cela enjeu d'une bataille textuelle vitale.


Renforcé par sa lutte doctrinaire avec les mouvements saducéens, pharisiens ou baptistes, le christianisme a alors connu à cause même de son succès des dissensions internes, comme celles qui avaient accompagnées sa naissance au cœur d'un judaïsme pluriel. Ainsi, l'Église n'aura de cesse de remettre sur le droit chemin les donatistes, ariens et autres hérétiques qui la menaçaient de division. A la lutte des origines dans laquelle s'illustra Paul de Tarse, succédera un nouveau combat dont la figure de proue sera Constantin: cet empereur converti au christianisme, convertira à son tour le christianisme à la foi impériale.

Le mariage du glaive et du goupillon ne sera pas pour autant consommé sans certaines résistances. Ainsi, le monachisme naissant du quatrième siècle est une réponse à ce qui est vécu comme une compromission du pouvoir spirituel avec le temporel. Mais deux siècles plus tard, remis au pas par une Église toute puissante, « les rebelles vont se transformer en miliciens de la puissance ecclésiastique à l'intérieur d'un État lui-même aux ordres de l'Église. »

Un autre exemple de ce questionnement sur le rapport entre autorité morale et puissance physique nous est fourni à par « La cité de Dieu ». Là encore, on va assister à un détournement textuel: l'idée d'Augustin de « découpler l'État de l'Église » sera pervertie au profit de la « conception d'une primauté de l'Église sur tout le monde chrétien, y compris les empereurs et les rois ».



Le livre se termine sur le processus d'européanisation d'une histoire originellement orientale. On s'amuserait de cette réécriture de l'histoire, de cette expulsion du judaïsme de la légende officielle, si l'on ignorait sur quelle monstruosité cette falsification a débouché. La cause essentielle de cet antisémitisme clérical est résumé par une formule saisissante, qui aujourd'hui encore aurait du mal à passer dans certains milieux prétendument éclairés: « les chrétiens doivent confesser leur appartenance à une religion dont l'inspirateur, sinon le fondateur, n'est pas de la même religion qu'eux. »


John Ford faisait dire à l'un de ses personnages dans L'homme qui tua Liberty Valance« Quand la légende est plus belle que la vérité, on imprime la légende. » Mordillat et Prieur cherchent à imprimer la vérité derrière la légende, et qu'ils en soient remerciés pour des siècles et des siècles, amen. (Terme tiré d'une racine hébraïque :'aman).

Merci beaucoup à Babelio, et à l'opération Masse critique.

dimanche 14 juin 2009

Pensées secrètes, David Lodge.



Le roman est construit à travers la confrontation de trois points de vue: le journal intime d'une écrivaine à succès, le flux de conscience qu'un scientifique abandonne à un dictaphone, et un observateur extérieur qui nous décrit avec neutralité les agissements des différents protagonistes.
L'idée de départ était formidable: nous offrir la rencontre entre deux domaines privilégiés d'accès aux pensées secrètes, les sciences cognitives et la littérature. Malheureusement, l'attente suscitée par le talent de David Lodge n'est pas entièrement comblée, l'intrigue devient de plus en plus poussive, les personnages se désincarnent au fil des pages, pour devenir de simples représentants conceptuels des thèses en présence. On est d'autant plus déçu que l'auteur a l'habitude de nous emporter sans ennui de la première à la dernière page de ses autres romans.