lundi 30 juin 2008

Test universel de comestibilité.

"Pour faire le test, il faut d'abord jeûner pendant huit heures. Puis diviser la plante en ses différentes parties - racine, feuille, tige, bourgeon et fleur - et frotter un petit morceau sur l'intérieur du poignet. S'il ne se passe rien, touchez avec ce morceau le bord interne de la lèvre pendant trois minutes, et s'il ne se passe rien après ça, mettez le sur la langue pendant un quart d'heure, et s'il ne se passe toujours rien après ça, mâchez-le sans l'avaler et gardez-le dans la bouche pendant un quart d'heure, et s'il ne se passe rien après ça, avalez et attendez huit heures, et s'il ne se passe rien après ça, mangez-en un quart de tasse, et s'il ne se passe rien après ça: c'est comestible."

Nicole Krauss, L'histoire de l'amour.

dimanche 29 juin 2008

Au moins, ça défoule.

"Car elle était de mauvaise humeur, trépignait, pleurait, pour des raisons aussi incompréhensibles que celles des enfants qui s'enferment dans un cabinet noir, ne viennent pas dîner, refusant toute explication, et ne font que redoubler de sanglots quand, à bout de raisons, on leur donne des claques."

Marcel Proust, Le côté de Guermantes.

Recette (3)

"C'est en écrivant qu'on devient écriveron."

Raymond Queneau, Exercices de style.

lundi 23 juin 2008

Violette (7)

"Un donjon sans épaisseur qui n'était qu'une bande de lumière orangée et du haut duquel le seigneur et sa dame décidaient de la vie et de la mort de leurs vassaux, avait fait place - tout au bout de ce "côté de Guermantes" où, par tant de beaux après-midi, je suivais avec mes parents le cours de la Vivonne - à cette terre torrentueuse où la duchesse m'apprenait à pêcher la truite et à connaître le nom des fleurs aux grappes violettes et rougeâtres qui décoraient les murs bas des enclos environnants;"

Marcel Proust, Le côté de Guermantes.

vendredi 20 juin 2008

Joël Egloff, L'étourdissement.


Le roman débute par une promenade touristique hilarante, sur fond de décharge et de station d'épuration, évocation alléchante d'un lieu enchanteur situé on le devine entre Soveso et Bhopal. Notre guide, employé aux abattoirs, poursuit sa chronique par une description du taudis dans lequel il vit, en compagnie de sa grand mère aux allures de Carmen Cru, et nous fait partager son quotidien tapissé de viscères, de cervelles et de sang.
De temps en temps, quelque chose permet d'échapper à la routine sanguinolente: la visite à une veuve qui s'ignore, pour lui annoncer que son mari a été victime d'un bœuf récalcitrant, ou encore la percée exceptionnelle du soleil derrière un ciel de plomb et d'amiante.
Une des qualités du roman tient au contraste entre ce qui est décrit, l'horreur que l'habitude finit par circonscrire, et des moments de pure poésie, par exemple lorsque le narrateur guide les avions lors de leur décollage, pour leur faire éviter les lignes de haute tension.
L'auteur réussit merveilleusement à doser des ingrédients qui à priori auraient pu rendre ce plat de tripes indigeste, à nous régaler d'une terrine de désespoir enduit d'humour chaplinesque.

Inexistentialisme.

On peut ne pas être et n'avoir jamais été.

Paradoxe du sorite.

Le nom du premier des neuf millions de morts de la première guerre mondiale: le caporal Peugeot. Mais après, ça s'est emballé, c'est allé beaucoup trop vite, et l'ordre des départs n'a plus eu trop d'importance.

Linguistique générale.

L'art et la manière de prendre son pied avec Saussure.

jeudi 19 juin 2008

Retard et structuralisme.

Le retard, contrairement à la ponctualité, est contagieux, et nous allons démontrer cette assertion en usant d'une terminologie sausurienne, en distinguant retard diachronique et synchronique.

La contagion diachronique du retard est la plus pernicieuse, et peut être illustrée à l'aide d'un exemple très simple à comprendre: une certaine personne, que nous appellerons Greta pour la commodité de la démonstration, se plaint d'un retard à son entourage, et donne naissance huit mois plus tard à une deuxième personne, que nous appellerons Gertrud toujours pour la commodité de la démonstration. Gertrud atteint après quelques années passées auprès de sa mère l'âge de procréer, et ne tenant pas compte des précieux conseils de Greta, est atteinte à son tour du fameux retard. Elle donne naissance huit mois plus tard à une troisième personne, que nous ne nommerons pas, pour éviter les ragots. En appliquant le principe de récurrence (je rappelle, initialisation et hérédité de l'hypothèse de récurrence), je conclus sans retard.

Nous allons évoquer à présent pour la mise en évidence du retard synchronique le cas de Hans. Celui-ci, chauffeur de taxi, suite à une expérience de vie plus longue que prévue avec Gertrud, a attrapé le retard (mais pas le même que Gertrud et Greta, attention). Il le transmet alors à son client, Otto, lui-même pilote d'avion. Ce dernier peut alors transmettre son retard à tous les passagers du vol régulier Berlin Berne. La contagion s'arrête pourtant, car Otto a mis le turbo. Ce qui ne l'empêchera pas (mais c'est une autre histoire), de transmettre le retard diachronique à Gisela, hôtesse de l'air, qui n'était pas en retard synchronique, heureusement.

Nous démontrerons demain pourquoi la ponctualité n'est pas contagieuse.

mercredi 18 juin 2008

Recette (2)

"Me laissant glisser au milieu d'eux, m'imprégnant de leur vie, partageant la couche de l'un, la table de l'autre ou le divan d'un troisième, tâtant leur médiocrité, palpant ma propre bassesse, j'aurais décrit mon insuffisance à l'aune de leur vanité, et nous aurions valsé les uns contre les autres, pareillement négligeables et futiles, bavardant de choses mesquines en attendant une fin acceptable. C'est comme cela que j'ai toujours écrit mes histoires, en découpant des lamelles de mon existence, m'astreignant à les détailler, le soir, dans le calme de ma pièce de travail. Aussi longtemps que je l'ai pratiqué, cet exercice m'a procuré une satisfaction comparable à celle que l'on peut éprouver lorsqu'on se débarrasse d'un comédon."

Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi.

mardi 17 juin 2008

Protoclichés.


Sur le toit du monde, au milieu de nulle part, l'univers s'est contracté en un instant d'éternité.

lundi 16 juin 2008

Une image du bonheur.

"Cela me procure une sensation fugitive de bonheur, comparable au sentiment du devoir accompli que l'on éprouve après avoir tondu une pelouse."

Jean-Paul Dubois, Kennedy et moi.

Recette.

"La recette pour devenir un bon romancier [...] est facile à donner, mais sa mise en pratique suppose des qualités qu'on a coutume de négliger quand on dit: "Je n'ai pas assez de talent." On doit simplement rédiger une centaine de résumés de romans, pas plus de deux pages chacun, mais d'une telle précision que chaque mot y est nécessaire; on doit noter chaque jour des anecdotes jusqu'à ce qu'on ait appris à leur donner la forme la plus éloquente et efficace; on doit observer et décrire infatigablement les divers types humains et caractères; on doit surtout raconter des choses aux autres et écouter les autres en raconter, en gardant les yeux et les oreilles bien ouverts pour juger de l'effet produit sur les personnes présentes, on doit voyager comme un peintre de paysages ou un couturier [..] on doit enfin réfléchir aux motifs des actions humaines, ne dédaigner aucune source d'instruction à leur sujet et accumuler tout cela jour et nuit. On doit persévérer dans ces multiples exercices pendant une dizaine d'années; ce qui sera alors créé dans l'atelier [...] méritera d'aller dans le monde."

Stendhal par Nietzsche.

dimanche 15 juin 2008

Abyme.

"Il est tentant de citer les auteurs quand ils expriment ce que nous pensons, mais avec une clarté et une justesse psychologique auxquelles nous ne pouvons prétendre. Ils nous connaissent mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes. Ce qui est indécis et confus en nous, ils le formulent succinctement et élégamment; nos traits et annotations au crayon dans les marges de leurs livres, et nos emprunts, indiquent où nous trouvons un écho de nous-mêmes, une phrase ou deux qui reflètent l'essence même de ce que nous pensons ou ressentons - une convergence encore plus frappante si l'œuvre a été écrite à l'époque des toges et des sacrifices d'animaux. Nous invitons ces mots dans nos propres livres en hommage à la faculté qu'ils ont de nous éclairer sur nous-mêmes."

Alain De Botton, Les consolations de la philosophie.

samedi 14 juin 2008

S'inventer.

"C'est cela: les personnages des romans, à l'instar de ceux des récits religieux mais de façon bien plus complexe, nous fournissent des modèles et des anti-modèles de comportement. Ils nous donnent de la distance précieuse par rapport aux êtres qui nous entourent, et - plus important encore - par rapport à nous-mêmes. Ils nous aident à comprendre que nos vies sont des fictions - et que, du coup, nous avons le pouvoir d'y intervenir, d'en modifier le cours."

Nancy Huston, L'espèce fabulatrice.

jeudi 12 juin 2008

Des rêves.



Tous les mammifères et tous les oiseaux rêvent, excepté l'ornithorynque. Sans doute les animaux improbables n'éprouvent-ils pas le besoin de s'inventer une existence.

mercredi 11 juin 2008

Violette (6)

"Il en était d'Albertine comme de ses amies. Certains jours, mince, le teint gris, l'air maussade, une transparence violette descendant obliquement au fond de ses yeux comme il arrive quelquefois pour la mer, elle semblait éprouver une tristesse d'exilée."

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.

mardi 10 juin 2008

Parler me tue.

"La conversation même qui est le mode d'expression de l'amitié est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir. Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d'une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur, la seule direction qui ne nous soit pas fermée, où nous puissions progresser, avec plus de peine il est vrai, pour un résultat de vérité."

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.

samedi 7 juin 2008

Deviens ce que tu es.

"Il n'y a pas d'homme si sage qu'il soit, me dit-il [Elstir], qui n'ait à telle époque de sa jeunesse prononcé des paroles, ou même mené une vie, dont le souvenir ne lui soit désagréable et qu'il souhaiterait être aboli. Mais il ne doit pas absolument le regretter, parce qu'il ne peut être assuré d'être devenu un sage, dans la mesure où cela est possible, que s'il a passé par toutes les incarnations ridicules ou odieuses qui doivent précéder cette dernière incarnation-là. Je sais qu'il y a des jeunes gens, fils et petit-fils d'hommes distingués, à qui leurs précepteurs ont enseigné la noblesse de l'esprit et l'élégance morale dès le collège. Ils n'ont peut-être rien à retrancher de leur vie, ils pourraient publier et signer tout ce qu'ils ont dit, mais ce sont de pauvres esprits, descendants sans force de doctrinaires, et de qui la sagesse est négative et stérile. On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même, après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. Les vies que vous admirez, les attitudes que vous trouvez nobles n'ont pas été disposées par le père de famille ou par le précepteur, elles ont été précédées de débuts bien différents, ayant été influencées par ce qui régnait autour d'elles de mal ou de banalité. Elles représentent un combat et une victoire. Je comprends que l'image de ce que nous avons été dans une période première ne soit plus reconnaissable et soit en tout cas déplaisante. Elle ne doit pas être reniée pourtant, car elle est un témoignage que nous avons vraiment vécu, que c'est selon les lois de la vie et de l'esprit que nous avons, des éléments communs de la vie, de la vie des ateliers, des coteries artistiques, s'il s'agit d'un peintre, extrait quelque chose qui les dépasse."

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs.

L'esquive, Abdellatif Kechiche.

Excellent film qui démontre qu'au delà du langage propre à une petite tribu, jetée dans un lieu et une époque qu'elle n'a pas choisi, ce sont les mêmes émotions, les mêmes rêves qui animent
l'humanité.
N'en déplaise aux Finkielkraut et autres Renaud Camus, pourfendeurs auto proclamés du déclin de la langue et de la pensée françaises, l'amour et l'expression de ses sentiments n'appartiennent pas seulement à une petite basse cour élevée au bon grain de la rhétorique. De même, la curiosité intellectuelle que certains jeunes manifestent pour les fleurons d'une littérature qui peut leur apparaître difficile d'accès, en l'occurrence la pièce de Marivaux, est une leçon à méditer pour ces matamores démolisseurs d'une culture à laquelle ils refusent même le nom.
Lydia et Krimo, les deux personnages principaux du film, expriment leurs sentiments dans une langue autre que celle pratiquée dans l'arène des hautes écoles de notre république si fraternelle et si égalitaire. Pourtant quelque chose passe d'intense, de profond, de juste. Cette langue métissée et vivante, débordante d'énergie, finit par créer une poésie originale, à condition de quitter les boules quiès fournies gracieusement par ce nouveau clergé, soutien le plus fervent des puissances karcherisseuses.

dimanche 1 juin 2008

Philippe Djian, entretien pour telerama

Philippe Djian : "Inventer une histoire est sans importance. C'est la langue qui compte."

Réflexions convaincantes sur le métier d'écrivain, sur son rôle d'interprète du monde, sur l'importance de ne pas laisser le champ de la culture populaire aux vendeurs de clichés et autres marchands de mots, et aucune faute de goût dans les références citées.